Minute du contrat de mariage de Charles VIII et d’Anne de Bretagne
Mardi 18 juillet 2017, texte saisi par Armand Chateaugiron, Amaury de la Pinsonnais.
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Bibliothèque nationale de France, Département des manuscrits, Nouvelles Acquisitions Françaises 11339.Citer cet article
Bibliothèque nationale de France, Département des manuscrits, Nouvelles Acquisitions Françaises 11339, 2017, en ligne sur Tudchentil.org, consulté le 3 décembre 2024,www.tudchentil.org/spip.php?article286.
Le contrat de mariage de Charles VIII et d’Anne de Bretagne, dressé et signé au château de Langeais, près de Tours, le 6 décembre 1491, a été plusieurs fois publié au XVIIe et au XVIIIe siècle. Mais le texte en a été imparfaitement reproduit par les différents éditeurs et les historiens de la Bretagne, comme ceux du règne de Charles VIII, ne sont pas d’accord sur la date de ce contrat. Antoine Lancelot, dans son Mémoire sur le mariage de Charles VIII avec Anne de Bretagne [a], publié en 1740, dans le tome XIII (p. 666-680) des Mémoires de littérature tirez des registres de l’Académie des inscriptions et belles-lettres, en a déjà fait la remarque et a constaté que si, le premier, Du Tillet, dans son Recueil des roys de France, a bien rapporté la date exacte du contrat au 6 décembre 1491, ainsi que d’Argentré dans son Histoire de Bretaigne (p. 664-663), les historiens qui l’ont cité, ou l’ont reproduit après lui, notamment Godefroy dans son Histoire de Charles VIII (p. 622-624), et à la suite de son édition des Mémoires de Philippe de Comines (L. V, p. 454), ont hésité sur la date, la fixant tantôt au 13, tantôt au 16 décembre 1491.
Dom Lobineau a publié à son tour ce contrat de mariage, et, plus précis que ses devanciers, il nous dit que le texte qu’il a inséré au tome II de son Histoire de Bretagne (col. 1543-1546), a été « pris sur une copie collationnée à l’original, à Beauvais, en 1673, par deux notaires royaux [1], » et au bas de laquelle il lisait la véritable date du 6 décembre 1491. La découverte récente de la minute originale du contrat est venue confirmer l’exactitude de l’édition de Dom Lobineau, reproduite par Dom Taillandier (tome II, p. 212-213). Cette minute, portant de nombreuses ratures et surcharges, recueillie jadis par l’abbé Clouet, l’historien de Verdun, est récemment entrée, avec l’ensemble des papiers de cet érudit, dans les collections de la Bibliothèque nationale. Elle forme un mince cahier de quatre feuillets de papier, mesurant 200 millimètres sur 240, et a reçu le numéro 11339 des nouvelles acquisitions du fonds des manuscrits français. Tandis que le texte de cette minute, imprimé plus loin, présente avec l’édition de Godefroy de nombreuses différences, il n’offre avec le texte donné par Dom Lobineau que de très légères variantes, souvent purement orthographiques, qu’il a semblé inutile de noter.
H. Omont.
Saichent tous presens et advenir que comme par cy devant eussent esté pourparlées, et par tresgrandes et meures deliberacions precedentes, traictées parolles de mariaige à contracter et estre consenties entre nostre souverain seigneur et prince treschrestien Charles, roy de France, huitiesme de ce nom, à présent regnant, d’une part, et tresnoble princesse madame Anne, fille et heritiere seulle et unicque de feu de tresnoble memoire Françoys, duc de Bretaigne, second de ce nom, derrenier decedé, d’autre part ; lesdits seigneur et dame au lieu et chastel de Langés en Touraine, en la court du Roy nostredit seigneur, en droit personnellement establiz, de leurs pures, pleines, franches et liberalles voluntez, et par l’advis, conseil et meure deliberacion des princes et seigneurs de leur sang et gens de leur conseil ; et mesmement en la presence de treshaulx et puissans princes monseigneur Loys, duc d’Orleans, monseigneur Pierre, duc de Bourbon, monseigneur Charles, conte d’Angoulesme, monseigneur Jehan, conte de Foix, monseigneur Françoys, conte de Vendosme, messire Guillaume de Rochefort, chevalier, chancellier de France, reverends peres en Dieu, monseigneur Loys d’Amboise, evesque d’Alby, maistre Jehan de Relly, docteur en théologie, confesseur dudit seigneur, esleu evesque d’Angiers, avec plusieurs autres de la partie du Roy nostredit seigneur, monseigneur Jehan de Challon, prince d’Orenge, messire Philippe de Montauban, chevalier, chancellier de Bretaigne, les sires de Guemené, de Coesquen, grand maistre d’ostel de Bretaigne, et plusieurs autres, de la part de ladite dame ; voulans et consentens lesdites parties et mesmement le Roy nostredit seigneur, de sa grace et bien ordonnée volunté, soy [2] soubzmectre et ont soubzmis eulx, leurs hoirs, avecques tous et chascuns leurs biens et choses meubles et immeubles, presens et advenir, à la juridiction, cohercion, povoir et ressort de ladite court, quant à ce qui s’ensuit par forme de contract, ayant force et vigueur, en tant que besoing seroit, de constitucion et auctorité de loy et toute fermeté ; recogneurent et confesserent de leurs bons grez et voluntez à l’onneur, louenge et gloire de la benoiste Trinité de paradis, de la tresglorieuse vierge Marie, mere de Dieu, nostre createur, et en desir et esperance de l’exaltacion de la foy catholicque, à l’onneur et bien d’eulx, de leurs pays et subjectz, amys et alliez, et pour obvier aux guerres et divisions qui ont eu cours, et acquerir, garder et maintenir paix indissoluble et perpetuelle, avoir fait et par la teneur de ces presentes lettres firent et font ensemble de bonne foy les traictiez, accords, cessions, transpors, promesses et convenances qui s’ensuyvent, pour raison du tresnoble mariaige desdits seigneur et dame futur, à estre faict, sollempnizé et celebré en face de saincte Eglise.
C’est assavoir que lesdits seigneur et dame, de leur pure, pleine, franche et liberalle volunté, ont promis et consenty prandre par mariaige, c’est assavoir le Roy nostredit seigneur ladite dame et princesse Madame Anne à femme et espouse, et pareillement ladite dame le Roy nostredit seigneur en son mary et espoux en face de nostre mere saincte mere Eglise.
Et en faveur et contemplacion duquel mariaige et pour le bien de paix perpetuelle entre la couronne de France et aussi du duchié de Bretaigne, conté de Nantes et leurs appartennances, que chacune desdites parties, par divers moyens qui seroient [3] longs à reciter [4], pretendent leur competer et appartenir, pour le bien de paix et transquillité desdits pays par cy devant molestez et traveilliez de guerres et divisions, en contemplacion de l’onneur que en contractant ledit mariaige le Roy nostredit seigneur exhibe à ladite dame, et pour les affections conjugales que a et doit avoir ladite dame audit seigneur, pour elle, ses successeurs et ayans cause, a donné, cedé, quicté, transporté et delaissé, et encores par la teneur de ces presentes donne, cede, quicte, delaisse et transporte à tousjours mais perpetuellement, irrevocablement à heritaige audit seigneur, ses successeurs roys de France, par tiltre de donnaison faicte pour cause et raison dudit mariaige, et en faveur d’icelluy, sans jamais la revocquer par testament ne autrement, ou cas que elle yra de vie à trespas paravant ledit seigneur, sans aucuns hoirs nez et procreez d’eulx legitimement en leur dit mariaige, tous et chacuns les droiz [5], proprietez, possessions, noms, raisons, actions et obligacions competens à ladite dame ès duchié et principauté de Bretaigne, conté de Nantes [6] et leurs appartenances, et generallement en tous et chacuns ses autres biens, terres, seigneuries et immeubles presens et advenir, où qu’ilz soient et puissent estre trouvez et apprehendez, en cedant et transportant dès à present comme pour lors par ladite dame audit seigneur tous et chascuns ses droiz de proprieté, possession, seigneurie, noms, raisons, actions et obligacions par cy devant à elle competens et appartenant, en le constituant et constitue dès à present comme pour lors ès choses que dessus et chacune d’icelles son procureur en sa propre chose, et ce tout en corroborant et fortiffiant, en tant que besoing seroit, le droit par cy devant competant audit seigneur, et sans prejudice ou derogacion d’icelluy en aucune maniere.
Et pareillement ledit seigneur, en faveur et contemplacion que dessus, voulant exhiber esgal faveur marital à ladite dame, pour les causes dessus dites, a donné, cedé, quicté, delaissé et transporté, et, par la teneur de ces presentes, donne, cede, quitte, delesse et transporte [7], irrevocablement, perpetuellement et à heritaige, ou cas que ledit seigneur decede de ceste vie mortelle avant ladite dame [8] sans aucuns hoirs nez et procreez legitimement de leur chair oudit mariaige, que Dieu ne veuille, tout tel droit, nom, raison, action, obligacion, propriété et possession par cy devant competans et appartenans audit seigneur ès choses dessus dites [9], à condicion touteffois et pour eviter les inconveniens [10] de guerres et autres sinistres fortunes vraysemblablement à ensuyr entre lesdits pays, que ladite dame ne convolera à autres nopces, fors avec le Roy futur, s’il luy plaist et faire ce peut, ou à autre plus prouchain presumptif futur successeur de la couronne, et lequel plus prouchain heritier sera tenu en icelluy cas faire et exhiber au Roy les recongnoissances et redebvances feudalles, tant honnorables que profitables, deues par cy devant pour raison desdits duchié, conté et appartenances, et ne pourront aliener lesdits duchié, conté et leurs dites appartenances en autres mains que dudit seigneur et ses successeurs roys de France.
Et en oultre ledit seigneur a voulu et consenty, veult et consent constituer, et par ces presentes constitue en faveur dudit mariaige à ladite dame, tout, tant [11] et tel douaire que ledit seigneur avoit voulu, consenty et constitué pour dot à feu de noble mémoire la royne Charlote derrenierement trespassée, que Dieu absoille, mère dudit seigneur, à l’instrument duquel dot ledit seigneur se rapporte, lequel et toute sa teneur de point en point, il a voulu et veult estre pour inseré et incorporé en ces presentes, comme s’il y estoit incorporé, Et a voulu et consenty, veult et consent ledit seigneur, ou cas qu’il yra de vie à trespas avant ladite dame, que ladite dame ait, parcoyve et face siens tous et chacuns ses biens meubles quelconques, soyent joyaulx de quelque sy tant grant pris qu’ilz pourront estre, lesquelz elle aura au temps du trespas dudit seigneur, soyent lesdits biens avecques sa personne et pour le service de sadite personne, que pour l’entretennement de sa maison, lesquelz il veult estre et appartenir perpetuellement à ladite dame et aux siens à toujours mais.
Et quant à tout ce que dessus est dit tenir et acomplir, sans jamais faire ne venir encontre, lesdits seigneur et dame, et chacun d’eulx ont obligé et obligent eulx, leurs hoirs avecques tous et chacuns leurs biens et choses meubles et immeubles, presens et advenir. Et mesmement ladite dame, en la presence et du consentement, en tant que besoing seroit, dudit seigneur, prince [12] d’Orenge, prouchain parent ou affin de ladite dame, lequel, aprez ce qu’il a oy et bien entendu, comme il disoit [13], les choses dessusdites et chacune d’icelles, en tant et pour tant que luy peut toucher, et pour quelconque interest qui luy puisse compecter et appartenir, soy soubzmectant comme dessus, a gratiffié, ratiffié, loué et approuvé, et encores par ces presentes gratiffie, ratiffie, loue et appreuve ce que dessus, et d’abondant sondit droit et interest ès dits duchié, conté et leurs appartennances, du consentement de ladite dame, ledit prince d’Orenge a cedé, quicté et transporté, et par ces presentes [14] le donne, cede, quicte et transporte à tousjours mais irrevocablement au Roy nostredit seigneur et aux siens. Et ont renoncé et renoncent lesditz, establiz et soubzmis comme dessus, à toute excepcion et decepcion, à tous appleigemens, contrappleigemens et oppositions quelzconques, especiallement ladite dame au benefice de Velleyan, et generallement à toutes et chacunes les autres choses à ce contraires, desquelles choses les dessusditz seigneur et dame, et prince d’Orenge ont passé autres lettres de semblables effect et substance, en la presence de maistre Pierre Bourreau, licencié en loix, notaire de l’auctorité apostolicque, cy dessoubz soubzcript, pour plus grant fermeté [15] et corroboration des choses dessusdites, et sans ce que l’une desdites lettres puisse ou doye aucunement prejudicier à l’autre.
Ce fut fait audit lieu de Langés par [16] lesdits seigneur, dame et prince d’Orenge, presens et consentens, et aussi [17] presens les dessusdits avec plusieurs autres. Et promiserent lesdits seigneur et dame en parolles et promesses royaulx, et ledit prince d’Orenge par la foy et serment de son corps pour ce baillée corporellement, de non jamais faire ne venir encontre. Et incontinant, sans divertir à autres actes, lesdits seigneur et dame procederent en la salle dudit chastel de Langés, où estoit preparé pour celebrer la messe, et sollempnizer lesdites espousailles desdits seigneur et dame, et illec, en la presence des notaires cy soubzscriptz, des ducs et contes dessusdits, et aussi tresnoble [18] princesse madame Anne de France, duchesse de Bourbon, seur dudit seigneur, et autres seigneurs et dames en grand nombre ; lesdits seigneur et dame, par le ministere du reverend pere en Dieu, evesque d’Alby [19], sollempnizerent publicquement leurdit mariaige, et par parolles de present prindrent et espouserent l’un l’autre, comme dessus, et par le ministere dudit reverend pere en Dieu elleu en evesque d’Angiers [20], fut celebrée messe avecques la benediction nupcialle.
Donné audit lieu de Langés et seellée du consentement desdites parties du seel royal estably et dont l’on use aux contractz royaulx en la ville, chastellenie et ressort de Tours, en tesmoing de verité, le sixiesme jour de decembre l’an mil quatre cens quatre vings et unze [21].
P. Bourreau
(Au dos : ) Le contract du Roy Charles et de la Royne, receu par Monsieur le president Commacre.
[a] NdT : Voir sur Tudchentil : Mémoire sur le mariage de Charles VIII avec Anne de Bretagne.
[1] Lancelot ajoute en note (p. 678) que cette copie collationnée était alors entre les mains de « M. Driot, procureur fiscal de la justice temporelle de l’église de Beauvais ».
[2] Soy, ajouté en interligne.
[3] Comme on disoit, ajouté en interligne, puis biffé.
[4] Comme on disoit, ajouté en interligne, puis biffé.
[5] On avait ajouté en marge (puis biffé, en écrivant au-dessus : Cecy est rasé) tout ce qui suit : seignoryes, proprietez, possessions, noms, raisons, actions, obligacions et autres droictz quelxconques, que ladite dame ha et peut avoir et qui luy pevent et doyvent competer et appartenir, tant ou duchié et principauté de Bretaigne et conté de Nantes, que autres terres, seignoryes.
[6] Le texte primitif portait simplement : ès duchié, conté ; le reste a été ajouté en interligne.
[7] Et par la teneur-transporte a été ajouté en marge.
[8] Femme, corrigé en dame.
[9] Es choses dessusdites, ajouté en interligne.
[10] Incommodités (D. Lobineau).
[11] Tant, ajouté en interligne.
[12] Le texte portait d’abord : de mondit seigneur le prince.
[13] Comme il disoit, ajouté en interligne.
[14] Et par ces présentes, ajouté en interligne.
[15] Seureté, corrigé en fermeté.
[16] Par, ajouté en interligne.
[17] Presens et consentens et aussi, ajouté en marge.
[18] Tresillustrissime, corrigé : tresnoble, en interligne.
[19] Louis Ier d’Amboise (1473-1503).
[20] Jean de Rely (1491-1499).
[21] La date avait d’abord été écrite : Mil cccc iiijxx et unze.