1213 : un capétien, Pierre de Dreux, devient duc de Bretagne
Mardi 21 avril 2009, par
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Le Télégramme de Brest, dimanche 6 mai 2001.Citer cet article
Frédéric Morvan, 1213 : un capétien, Pierre de Dreux, devient duc de Bretagne, 2009, en ligne sur Tudchentil.org, consulté le 10 octobre 2024,www.tudchentil.org/spip.php?article567.
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Le roi de France, Philippe Auguste, qui contrôle les destinées de la Bretagne depuis le début du siècle, ordonne le mariage ou plutôt les fiançailles, car elle n’a que treize ans, d’Alix de Thouars, duchesse de Bretagne, avec un prince de la maison royale de France, Pierre de Dreux. Pourquoi cette décision ?
Pierre, le choix du roi de France
Dès le début du siècle, la Bretagne est un enjeu entre les Capétiens et les Plantagenêts. Jean sans Terre a besoin de la Bretagne pour garantir la liaison entre son royaume d’Angleterre et son duché d’Aquitaine. Philippe Auguste l’a parfaitement compris et a appuyé la révolte du neveu de Jean sans Terre, Arthur, duc de Bretagne, fils de son frère Geoffroy Plantagenêt et de la duchesse Constance de Bretagne. Après l’assassinat d’Arthur par son oncle en 1203, Philippe Auguste écarte de la succession au trône de Bretagne Aliénor, sœur d’Arthur, alors en Angleterre, pour lui préférer sa sœur cadette, Alix, fille de Constance et du poitevin Gui de Thouars. Le mariage de la nouvelle duchesse de Bretagne devient alors une affaire d’Etat. Elle est d’abord fiancée en 1209, à dix ans, à Henri de Penthièvre, qui a quatre ans. Il est le fils du plus puissant seigneur breton, seul descendant en ligne masculine des anciens ducs bretons, alors que la dynastie régnante n’est arrivée au pouvoir que par des successions féminines plusieurs fois renouvelées. Mais le retour d’une dynastie bretonne sur le trône de Bretagne ne se fera pas.
Le roi de France a décidé d’imposer à Alix, comme mari, Pierre de Dreux, un de ses plus proches parents. Il est le second fils du comte de Dreux, longtemps second héritier au trône de France et descendant direct du roi Louis VI le Gros. Pierre est donc un Capétien et possède en propre quelques domaines en Champagne et en Ile-de-France. La fidélité, sans faille, des Dreux au roi vaut à Pierre de vivre à la cour, d’être fait chevalier par le roi lui-même et enfin d’obtenir la main d’une riche héritière.
Face aux menées du roi d’Angleterre, le roi de France a besoin d’un homme de guerre valeureux pour défendre la Bretagne et surtout pour lui amener un contingent militaire breton conséquent. Or, les deux principaux alliés de la France en Bretagne sont mourants. Le père d’Henri de Penthièvre meurt le 29 décembre 1212, le père d’Alix, le 23 avril 1213. Le fiancé d’Alix, Henri de Penthièvre n’a que sept ans. Par contre, Pierre de Dreux, vingt-deux ans, a déjà combattu en Artois. Mais, avant de lui céder la Bretagne, le roi exige de lui de solides garanties. Pierre doit lui prêter un serment de fidélité gagé sur ses biens et ceux de sa famille (novembre 1212). Il doit se soumettre à lui par un hommage strict, dit lige (27 janvier 1213). Philippe Auguste ne s’est pas trompé. Le nouveau souverain de Bretagne participe à la défaite du roi d’Angleterre en 1214.
Pierre, le restaurateur du pouvoir ducal
Auréolé de gloire, Pierre, au nom de son épouse, mène la même politique que son auguste mentor, le roi de France. Il veut affermir son pouvoir et étendre son Domaine. Il s’attaque d’abord aux grands seigneurs bretons. Il s’empare d’une partie des biens d’Henri de Penthièvre, soit le Penthièvre et la Trégor. Le tuteur d’Henri, Conan de Léon, se révolte et perd Lesneven. La mort d’Alix, en octobre 1221, semble permettre à ses ennemis de contester la légitimité de Pierre. Conduits par le seigneur angevin, Amaury de Craon, ils sont écrasés, en mars 1222, devant Châteaubriant. Amaury perd sa terre bretonne de Ploërmel. L’année suivante, Pierre fait construire le château de Saint-Aubin-du-Cormier qui a pour but de défendre le Nord-Ouest du duché, mais aussi de surveiller les seigneurs du pays rennais, surtout son beau-frère, André de Vitré (époux de la sœur cadette d’Alix), un concurrent potentiel à la régence de la Bretagne que Pierre exerce maintenant pour ses enfants.
Dès son avènement, il se heurte aussi à la puissance des évêques bretons qui détiennent les grandes cités du duché. La guerre avec l’Angleterre lui sert de prétexte pour les fortifier et ainsi réduire l’influence des évêques. Par deux fois, ils l’excommunient (1218-1220, 1228). Le pape accepte de jeter l’interdit sur le duché. Tout sacrement religieux est impossible. Les évêques sont pourchassés, doivent s’exiler ; leurs gens sont molestés, leurs terres confisquées. Mais, chaque fois, Pierre doit céder car les évêques ont aussi l’appui du roi de France.
Pierre, le rebelle
Si jusqu’à la mort du roi de France, Louis VIII (1226), Pierre est un vassal fidèle. Il rechigne à obéir à la régente de saint Louis, Blanche de Castille. Par trois fois, en 1227, 1231 et 1234, il se révolte et dénonce son serment de fidélité. L’armée française intervient et prend quelques châteaux bretons frontaliers. Pierre n’a pas les moyens de lutter, d’autant que ses alliés, surtout le roi d’Angleterre, sont particulièrement passifs, quand ils ne le trahissent pas (comme le comte de Champagne). Par trois fois donc, il doit se soumettre. Les grands barons et les évêques bretons, qui se sont alliés à la France, ont gagné. En 1235, il est humilié. et doit puiser à pleines mains dans son trésor pour les dédommager. Deux ans plus tard, en novembre 1237, il abandonne le gouvernement de la Bretagne à son fils, Jean Ier le Roux.
Pierre, le croisé
Pourtant, sa carrière ne s’arrête pas là. Sa valeur militaire lui vaut d’être choisi par le pape, en janvier 1238, comme un des chefs de la croisade pour « délivrer le tombeau du Christ » en Palestine. Même si l’expédition tourne court, le chevalier Pierre de Braine (il a repris le nom de sa terre champenoise) se couvre de gloire. En août 1249, il accompagne saint Louis dans sa première croisade. Il est blessé à la tête à la bataille de Mansourah (en Egypte, 22 février 1250). Fait prisonnier, délivré après le paiement de sa rançon, il ne survit pas à ses blessures et meurt sur le navire qui le ramenait en France (26 ou 27 mai 1250). Il est inhumé chez lui, en Champagne, à Saint-Yved-de-Braine.
Son œuvre est méconnue, faute de documents. Il n’est pas un homme de chancellerie comme son fils, mais davantage un homme d’action. Décrié plus tard comme aventurier, tyran et surtout anticlérical, d’où son surnom de Mauclerc, il a pourtant laissé à ses héritiers un Domaine ducal accru, bien défendu, base d’une organisation administrative plus efficace. Surtout, s’installe avec lui, une nouvelle dynastie, capétienne, et donc d’origine française, qui régnera sur la Bretagne jusqu’à Anne de Bretagne (morte en 1514).