Tudchentil

Les sources sur les gentilshommes bretons

L'histoire de Keroulas

Du Moyen Âge à nos jours

Par la famille de Keroulas.

Depuis le Moyen-Âge, le berceau de la famille de Keroulas se trouve au manoir de Keroulas à Brélès, en Pays de Léon. Plus de 6 siècles et près de 20 générations plus tard, cette belle demeure du XVIIe siècle est toujours la résidence de descendants de la famille.

Le manoir de Keroulas conserve de précieuses archives dont les plus anciennes datent de la fin des années 1300. Elles ont permis de remonter aux périodes les plus reculées de l’histoire familiale.

Le nom de famille de Keroulas s’est éteint en Pays de Léon au XVIIIe siècle. Les Keroulas d’aujourd’hui descendent de Ronan Mathurin de Keroulas (1730-1810) qui s’installe vers 1764 au manoir de Tal ar Roz au Juch près de Douarnenez. Sa nombreuse postérité estimée à plus de 5.000 personnes a surtout essaimé au Juch et dans les communes environnantes.

Ce beau livre illustré, travail collectif de plusieurs enfants de la famille, vous invite à plonger dans la destinée des Keroulas, à suivre son évolution au fil des siècles et à découvrir de nombreux épisodes parfois très surprenants.

Le livre est en vente chez l’éditeur aux éditions Récits au prix de 35 €.

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Affaire Bellingant/Hautefort - Factum pour le marquis d’Hautefort

Lundi 9 mars 2020, transcription de Karl Enz.

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Bibliothèque nationale de France, Département des Manuscrits, Clairambault 1087, fol. 62.

Citer cet article

Bibliothèque nationale de France, Département des Manuscrits, Clairambault 1087, fol. 62, transcrit par Karl Enz, 2020, en ligne sur Tudchentil.org, consulté le 11 octobre 2024,
www.tudchentil.org/spip.php?article1342.

Affaire Bellingant/Hautefort - Factum pour le marquis d’Hautefort

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Factum pour le marquis d’Hautefort, intimé.

Contre la demoiselle de Kerbabu, appellante de la sentence rendue par le sieur Lieutenant Criminel au Châtelet.

 

Le nombre et la qualité des crimes dénoncés par la demoiselle de Kerbabu, paroissoient propres à attirer toute l’attention du public, et toute la séverité de la justice. Suppression d’un testament, et de la grosse d’un contrat de mariage ; enlevement de la minute, des mains d’un officier public qui en étoit le dépositaire ; alteration d’un régistre du contrôle ; laceration de deux feuillets du régistre des mariages : pouvoit-on porter plus loin l’audace et la méchanceté ? La foi publique se trouvoit violée jusques dans les dépôts les plus sacrés, et l’état des hommes n’auroit plus rien d’assuré, si de tel attentats pouvoient demeurer impunis.

C’est l’excès même de ces crimes dont la demoiselle de Kerbabu a osé rendre plainte, qui lui a ouvert des routes si faciles pour instruire son accusation : on a cru devoir profiter des éclaircissemens que tout genre de preuve pouvoit administrer, et jusqu’à ce que la verité eut été pleinement éclaircie, on a interdit à l’accusé tout ce qui pouvoit traverser les recherches de l’accusatrice.

Mais enfin, quel a été le fruit de ces recherches qui devoient découvrir tant de misteres ? Non-seulement on n’a pas pu trouver un coupable contre lequel s’élevât le moindre indice, mais on n’a pas pu même établir un corps de délit : les principaux crimes ont disparu ; la demoiselle de Kerbabu n’a pas seulement entrepris d’en faire la preuve, et pour écarter jusqu’au plus léger soupçon des autres, elle a fourni elle-même dans ses écrits, dans sa conduite et dans ses informations, des armes si puissantes à l’accusé, que tout concourt à son triomphe.

[page 2] C’est ce que les premiers juges ont reconnu : ils n’ont trouvé dans cette accusation si célebre qu’une vexation outrée ; ils ont crû qu’il étoit de leur devoir de la réprimer par une condamnation, qui sans être proportionnée à l’offense, pût cependant contenir ceux qui seroient tentés de suivre un exemple si dangereux. La demoiselle de Kerbabu peut-elle se flatter aujourd’hui d’un événement plus heureux sur l’appel ?

FAIT

.

Le comte d’Hautefort, lieutenant géneral des armées navales, avoit toujours aimé tendrement le comte de Surville son neveu, qu’il regardoit comme le seul heritier de sa maison. Plein de ces sentimens, il fit son testament olographe à Paris le premier avril 1726 par lequel il l’institua son légataire universel, le chargeant seulement d’acquitter quelques legs pieux, et quelques récompenses qu’il laissoit à ses anciens domestiques.

Peu de tems après, le comte d’Hautefort se rendit à Brest, et delà à Auterive : plusieurs officiers de marine l’y accompagnèrent ; il y reçût aussi quelques dames, et entre autre la comtesse d’Epinay sa sœur, la demoiselle de Kerbabu, et la demoiselle de Bellinguant ; mais la maladie dont il fut attaqué ne lui permit pas de profiter beaucoup de cette compagnie. Il partit d’Auterive à la fin d’octobre ; sa santé toujours chancelante se soutint jusqu’au mois de janvier 1727 qu’il se fit transporter chez Martinon chirurgien, rue Culture-Sainte-Catherine, où il mourut le 7 fevrier entre neuf et dix heures du matin.

Le comte de Surville s’étoit rendu auprès de lui sur la nouvelle du danger où il se trouvoit ; il ne le quitta, pour passer dans l’antichambre, que quand il le vit près de rendre les derniers soupirs : la mort lui ayant été annoncée quelques instans après, il se retira aussitôt à l’hôtel de Pompadour, chez le marquis d’Hautefort son oncle, avec lequel il demeuroit.

Pendant qu’il s’y livroit à l’excès de sa douleur, le commissaire Parent apposa le scellé en la maison du comte d’Hautefort, rue de Varenne : on trouva d’abord le testament olographe, par lequel le comte de Surville étoit nommé légataire universel.

Il ne prévoyoit pas que cette succession, assez modique en elle-même, alloit exciter un orage qui devoit l’agiter tant d’années, et encore moins qu’il dût venir d’une personne étrangere à la famille, et qui lui étoit absolument inconnue.

Cependant deux mois et demi après la mort du comte d’Hautefort, il reçut un[e] lettre du marquis d’O, par laquelle il lui mandoit qu’il en avoit reçu deux de deux personnes qui se disoient ses parentes, qu’il ne les connoissoit point, et ne les avoit jamais vues ; que l’ayant cherché à Versailles pour les lui communiquer, et ne l’ayant pas trouvé, il prenoit la parti de les lui envoyer par son fils.

Le paquet renfermoit en effet deux autres lettres, l’une de la dame de Saint Quentin, et l’autre de la demoiselle de Kerbabu.

[page 3] La dame de Saint Quentin mandoit au marquis d’O, que l’une de ses filles étoit sur le point d’épouser le comte d’Hautefort ; il l’avoit fiancée, dit-elle, et le contrat de mariage écrit dès le mois de septembre : sa maladie retarda la noce jusqu’à son retour de Paris ... mais enfin, le seigneur en a disposé autrement, il faut sans murmurer se soumettre à sa volonté et à sa providence. Après ce préambule qui préparoit à la demande qui suit, la dame de Saint Quentin ajoutoit : il a fait un testament ; je vous demande la grâce de parler à monsieur le marquis d’Hautefort, oncle de celui d’aujourd’hui, non pas de j’aye dessin d’avoir aucun procedé avec lui, je l’honore trop pour cela ; mais il est si équitable, que je suis persuadée qu’il ne s’opposera pas, et qu’il se portera lui-même à effectuer les volontez d’un frère qu’il aimoit tendrement.

La lettre de la demoiselle de Kerbabu ne representoit que les mêmes objets : j’étois sur le point d’épouser monsieur le comte d’Hautefort, monsieur, il y a même un contrat de mariage écrit ; je viens d’avoir le malheur de le perdre : un tel engagement l’auroit peut-être fait écrire des volontez qu’il ne me convient point d’éclaircir avec monsieur le marquis d’Hautefort ; me refuserez-vous, monsieur, de lui en parler, seulement pour lui faire connoître que cet engagement n’a point de rapport à tous ceux dont messieurs de la marine sont taxés quelque-fois ? Je ne doute pas même que monsieur le marquis d’Hautefort ne soit informé de cela, et vous jugez bien, monsieur, que cette formalité de contrat n’est plus pour moi qu’un nouveau chagrin, et que je vous prie de tenir secret entre monsieur son frère et vous.

La demoiselle de Kerbabu écrivit ensuite directement au comte de Surville : elle lui mande, qu’elle s’est déjà expliquée avec lui touchant les volontez de monsieur le comte d’Hautefort, dont il m’a, dit-elle, donné connoissance ; mais n’ayant aucune réponse, j’ai crû en vous faisant parler par monsieur le marquis d’O, que vous diriez quelque chose de positif du dernier testament : tout cela a été inutile. Ainsi, monsieur, avant que d’entrer dans aucune discussion, je crois devoir vous demander vos intentions : vous ne vous plaindrez pas, monsieur, de ma trop grande vigilance, puisqu’il y a près de trois mois que j’attends à voir quel parti vous prenez. Il n’est pas surprenant qu’étant sur le point d’épouser monsieur le comte d’Hautefort, il m’ait voulu du bien : vous devez même avoir trouvé la copie du contrat de mariage.

Le stile de cette lettre est bien different de celui des deux premieres : on persiste à la verité à reconnoître qu’il n’y avoit point de mariage ; mais sur le fait du testament, on prend un ton plus haut, on menace même d’entrer en discussion : c’est une espece de déclaration de guerre.

Le comte de Surville peu inquiet de ces menaces, répondit à la demoiselle de Kerbabu sans beaucoup de ménagement. Je ne sçai quel éclaircissement vous pouvez désirer de moi, mademoiselle ; je veux bien vous mettre l’esprit en repos sur le testament dont je vous envoye une copie devant notaire : si vous y êtiez nommée, j’ai trop de respect pour la mémoire de feu mon oncle pour que vous n’en fussiez pas informée. A l’égard du prétendu mariage, je vous conseille d’en oublier jusqu’à l’imagination ; personne n’en fera la dupe, et monsieur d’Hautefort étoit trop connu et trop estimé pour en pouvoir être soupçonné à son âge ; et tout ce que vous pourrez dire, ne peut que faire beaucoup de tort à votre réputation, vous faire des ennemis de toute sa famille, et au bout [page 4] de cela ne persuader à personne. Faites-moi la grâce de croire, mademoiselle, que je vous donne un bon conseil.

Cette lettre qui ne laissoit aucune esperance à la demoiselle de Karbabu, et qu’elle a depuis representée comme une pièce dans laquelle on avoit poussé l’insulte aux derniers excès, attira au comte de Surville une réponse fort haute de la part de la demoiselle de Kerbabu ; mais toute sa colere, et la rupture ouverte entre le comte de Surville et elle, ne purent encore lui inspirer l’idée d’un mariage célébré avec le comte d’Hautefort, au contraire, dans sa réponse, qui est du 14 mai 1727 elle lui dit : A l’égard de vos avis, vous me permettrez de vous dire, monsieur, qu’une fille comme moi n’a pas besoin d’en chercher ailleurs : je n’ignore pas non plus l’estime génerale qu’avoit monsieur votre oncle ; il étoit trop des amis de ma famille, pour ne le pas connoître et sa réputation, et c’est sur ce pied là, que je l’eusse épousé, la chose lui faisant autant d’honneur qu’à moi : notre contrat de mariage fut fait le mois de septembre, comme vous ne l’ignorez pas, et si sa santé ne l’avoit pas obligé d’aller à Paris, ce qui retarda notre mariage, il seroit fait à présent.

Il faudroit être livré à une présomption bien aveugle pour n’être pas frappé de tant de lettres écrites par la mère et par la fille dans le cours de trois mois entiers : elles y supposent à la vérité un projet de mariage, auquel on est persuadé que le comte d’Hautefort n’a jamais pensé ; mais l’illusion n’avoit point été portée plus loin, et elles convenoient l’une et l’autre que le comte d’Hautefort n’avoit jamais pris d’engagement.

Le comte de Surville persuadé de plus en plus de cette verité, par des lettres qui s’expliquoient si clairement, demeura tranquile plusieurs mois, et oublia entierement la demoiselle de Kerbabu : il fut bien surpris d’apprendre dans la suite qu’elle prenoit la qualité de veuve du comte d’Hautefort, et qu’elle prétendoit, contre des reconnoissances si précises et si réiterées, qu’elle l’avoit épousé. Une nouvelle à laquelle il devoit si peu s’attendre, l’obligea de rechercher quelles avoient été les démarches de la demoiselle de Kerbabu depuis les lettres qu’elle lui avoit écrites : il sçut qu’elle avoit été dans le Maine sous des noms empruntés, et qu’elle avoit fait plusieurs tentatives pour se procurer un faux contrat et un faux acte de célébration de mariage. Il se termina à en rendre plainte ; mais il fut prévenu de quelques jours par la demoiselle de Kerbabu, qui étant arrivée à Paris, commença la procédure dans laquelle il faut aujourd’hui se renfermer.

Sa plainte est du 14 janvier 1728. Après y avoir exposé le fait de son prétendu mariage, célébré, selon elle dans la chapelle du château d’Auterive le 19 septembre 1726 elle ajoute, qu’il avoit été précedé d’un contrat passé devant Le Chaigne et Duchast, notaires royaux de Laval, le 7 du même mois, par lequel le comte d’Hautefort avoit reconnu avoir reçu la somme de 15 000 livres à comte des 75 000 livres de dot qu’elle promettoit de lui apporter ; que le comte d’Hautefort avoit encore reconnu avoir reçu d’elle les 60 000 livres restantes, suivant sa quittance sous signature privée [page 5] du 2 octobre 1726 que peu de jours après, le comte d’Hautefort fut mandé à la cour... Que le 6 fevrier son corps fut rapporté mort en son hôtel, sans qu’elle ait pu apprendre de quelle maladie, ni en quel lieu il étoit décedé, par le soin extrême que ses parens et ses heritiers avoient pris, non-seulement de congédier, mais encore d’écarter de Paris jusqu’au dernier de ses domestiques.... Que n’ayant appris que long-tems après, et par la voix publique, la mort du comte d’Hautefort, elle seroit tombée dans une maladie longue et dangereuse... Qu’étant arrivée à Paris, elle a appris que le testament olographe fait à Auterive par le sieur comte d’Hautefort, et rappellé dans plusieurs de ses lettres, avoit été vu et lu de plusieurs personnes depuis son décès. Qu’à l’égard de son contrat de mariage, le notaire qui l’avoit reçu lui en a refusé la grosse, lui ayant dit qu’il l’avoit délivrée à feu monsieur le comte d’Hautefort. Que depuis le décès de mondit sieur le comte d’Hautefort, ses heritiers tâchant de contester son état, ont supprimé, comme il a été dit, la grosse de son contrat de mariage, et encore le testament où elle étoit qualifiée épouse du sieur comte d’Hautefort, et encore pratiqué plusieurs manœuvres, intrigues et mauvaises voyes, pour supprimer les pièces originales et autres établissant son droit.

Cette plainte, qui est comme la base de toute procédure, renferme plusieurs circonstances, dont l’absurdité ou la fausseté évidente suffiroit pour faire tomber l’accusation.

On parle d’un contrat de mariage passé devant Le Chaigne et Duchast, notaires royaux de Laval, et il n’y en a jamais eu de ce nom, ni dans la ville de Laval, ni dans toute la province du Maine.

La demoiselle de Kerbabu a parlé, selon elle, au notaire qui a reçu la minute du contrat ; et cependant elle ne le connoît pas, et en nomme deux autres qui n’ont jamais existé.

Elle lui en a demandé une expédition, et il l’a refusée, sous prétexte qu’il l’avoit délivrée au comte d’Hautefort ; comme s’il y avoit un notaire capable de refuser à une veuve une expédition de son propre contrat de mariage, et que la demoiselle de Kerbabu n’eût pas eu assez de crédit pour le forcer à satisfaire à une demande si juste.

Le contrat de mariage portoit une quittance, dit-on, de 15 000 livres, à compte de 75 000 livres de dot que la demoiselle de Kerbabu promettoit d’apporter ; et depuis, le comte d’Hautefort a reconnu avoir reçu les 60 000 livres restantes par un acte sous seing privé du 2 octobre 1726 cependant la prétendue quittance du 2 octobre est des 75 000 livres en entier.

On ajoute que les parens et heritiers du comte d’Hautefort ont non-seulement congédié, mais encore écarté de Paris jusqu’au dernier de ses domestiques : cependant ils s’y sont trouvés tous, et il n’y en a pas un seul que la demoiselle de Kerbabu n’ait fait entendre dans ses informations.

Quelle idée peut-on se former d’une accusation qui commence par des suppositions si manifeste ? Ce qui suit répondra parfaitement [page 6] à un début si capable de faire juger du caractere de l’accusation.

Par un monitoire qu’elle fit publier le 3 fevrier 1728 elle ajouta que l’on avoit laceré deux feuillets du régistre des mariages de la paroisse d’Argentré, même que l’on avoit tenté la fidelité du greffier de la justice de Laval pour lui en faire remettre la minute.

Enfin par une requête du 25 mai 1728 elle demande acte de la plainte qu’elle rendoit, en adhérant de la suppression qui avoit été réellement faite depuis le mois de septembre 1727 de la minute de son contrat de mariage avec le feu comte d’Hautefort, passé le 17 septembre 1726 et reçu par Ains, notaire à Montsur, et de la suppression du controlle, dont ledit Ains étoit aussi dépositaire en qualité de controlleur.

C’est ainsi que l’accusation a, pour ainsi dire, monté par degrez ; mais ces nouvelles plaintes n’étoient propres qu’à la décrier de plus en plus. En effet, ce ne sont plus deux notaires de la ville de Laval qui ont reçu son contrat de mariage ; c’est Ains, notaire de la ville de Montsur, qui en a toujours été le dépositaire. D’où est venue cette nouvelle lumiere à la demoiselle de Kerbabu ? Au mois de janvier 1728 c’étoit Le Chaigne et Duchast à qui elle avoit parlé elle-même ; au mois de mai suivant, c’est Ains, notaire de Montsur : quel contraste entre des faits qui devroient être si constans ! Au surplus, le régistre des mariages de la paroisse d’Argentré s’est trouvé sain et entier, tant dans l’original demeuré à la paroisse, que dans la copie remise au greffe : le greffier a reconnu qu’on ne l’avoit jamais tenté de déliver sa prétendue minute ; enfin, il ne s’est trouvé aucune alteration dans le régistre du controlle dont Ains étoit le dépositaire.

Quoiqu’il en soit, sur ces differentes plaintes la demoiselle de Kerbabu a eu une permission de faire informer : elle a fait entendre plus de cinquante témoins à Paris, à Brest et à Laval ; mais malgré tous les efforts qu’elle a faits pour en corrompre plusieurs, il n’y en a pas un dont la déposition ne concoure à détruire sa chimerique accusation.

Aussi s’est-elle trouvée réduite à demander la verification de quelques lettres, et autres écrits qu’elle a prétendu être de la main du comte d’Hautefort : verification inutile, et contre laquelle le marquis d’Hautefort a toujours protesté ; mais qui par l’évenement ne peut jamais faire honneur ni procurer aucun avantage à la demoiselle de Kerbabu, puisque les experts ont reconnu dans ces écrits des alterations sensibles, qui n’ont pu être faites que pour appuyer la fable de son prétendu mariage.

Après cet épisode, l’instruction a été continuée ; mais la demoiselle de Kerbabu convaincue elle-même de la chimere de ses plaintes, a négligé d’en approfondir les principales circonstances. Nulle diligence pour faire apporter le régistre des mariages de la paroisse d’Argentré, ni celui du controlle de Montsur : nulle poursuite contre Ains notaire, qui seroit sans doute le premier auteur du crime, si on pouvoit apercevoir quelque trace. Tout s’est réduit à faire [page 7] recoller et confronter les témoins ; ce qui a procuré encore de nouveaux avantages au marquis d’Hautefort, par les éclaircissemens qu’ils ont donnés.

C’est dans ces circonstances qu’est intervenue la sentence du 23 mai 1730 par laquelle le marquis d’Hautefort a été déchargé de l’accusation, et la demoiselle de Kerbabu condamnée en 10 000 livres de dommages et interêts, et en tous dépens.

Après tant d’outrages, on ne pouvoit accorder au marquis d’Hautefort une réparation plus foible : toute la France avoit retenti des accusations de la demoiselle de Kerbabu : ses plaintes avoient annoncé les crimes les plus graves, et ses écrits, les preuves les plus complettes. Il sembloit que le marquis d’Hautefort alloit être perdu aux yeux de l’univers ; cependant rien n’avoit répondu à des promesses si magnifiques, et cette accusation qui avoit fait tant de bruit, ne se trouvoit enfin qu’un tissu d’impostures : la severité pouvoit-elle être portée trop loin dans de telles circonstances ?

Cependant c’est la demoiselle de Kerbabu qui a interjetté appel de la sentence : que peut-elle attendre de cette derniere tentative, qu’un jugement plus solemnel qui la couvrira d’un nouvelle confusion ?

MOYENS.

Toute accusation doit presenter à la justice un corps de délit et un coupable : s’il n’y a point de corps de délit, l’accusation tombe comme étant sans objet : si c’est un innocent qui est poursuivi, l’accusation est mal dirigée ; et dans l’un et l’autre cas, elle dégénere dans une pure calomnie.

La marquis d’Hautefort réunit pour sa défense ces deux moyens également propres à confondre l’accusation.

Premierement, il n’y a que fiction et que chimere dans ce que la demoiselle de Kerbabu presente à la justice pour l’objet de ses recherches.

Secondement, quand on supposeroit un corps de délit, le marquis d’Hautefort en seroit accusé sans prétexte.

En un mot, tout est supposé de la part de la demoiselle de Kerbabu, et le crime, et le coupable : son accusation est donc le comble de l’imposture.

PREMIERE PROPOSITION.

 

Il n’y a point de corps de délit.

 

La demoiselle de Kerbabu qui avoit annoncé dans ses differentes plaintes tant de chefs d’accusation, s’est réduite enfin à deux objets : elle prétend qu’après la mort du comte d’Hautefort, on a trouvé dans sa cassette un prétendu contrat de mariage, et un testament olographe fait à Auterive, et qu’on a supprimé l’un et l’autre.

[page 8] Par rapport au contrat de mariage, pour établir un corps de délit, il faudroit que la demoiselle de Kerbabu justifia par des preuves incontestables que ce titre a existé, qu’il y a eu un contrat autentique reçu en minute par un notaire, contrôlé, et dont la grosse avoit été delivrée au comte d’Hautefort, il faudroit qu’elle justifia non-seulement que des pieces ont existé pendant la vie du comte d’Hautefort, mais encore que la grosse étoit dans sa cassette et parmi ses papiers lorsqu’il est décedé ; mais on va voir que ni dans l’une, ni dans l’autre époque, elle n’a aucune preuve de l’existance de ce titre, et que ses plaintes n’embrassent qu’une chimere.

Ce n’est pas dans les informations qu’elle a fait faire, qu’elle prétend chercher elle-même la preuve qu’il y a eu un contrat de mariage entre le comte d’Hautefort et elle ; il n’y a pas un seul témoin qui en parle, soit pour l’avoir vu, soit pour en avoir eu la plus légère connoissance ; mais elle prétend avoir quelque chose de plus important, des lettres écrites de la main du comte d’Hautefort, qui parlent de son contrat de mariage ; c’est donc à des preuves litterales qu’elle a recours : mais peuvent-elles jamais meriter la confiance de la justice ? Quand elles seroient exemptes de tout soupçon, suffiroient-elles pour établir l’existence d’un contrat de mariage ? Enfin les inductions que l’on en voudroit tirer, ne sont-elles pas combattues par des preuves infiniment plus solides ? C’est ce qu’on va discuter avec soin.

1o La verité de ces écrits est au moins infiniment suspecte ; la demoiselle de Kerbabu en a fait faire la verification, et a beaucoup triomphé dans le monde du sentiment des experts, mais leur raport bien entendu fait au contraire sa condamnation.

De dix-huit lettres representées par la demoiselle de Kerbabu, il s’en est trouvé plusieurs qui avoient été alterées par une main étrangere pour leur donner un sens favorable à la fable de son mariage ; c’est une verité à laquelle il est impossible de se refuser aux termes même du raport d’experts. Il y avoit dans la cinquième lettre : Je ne doute pas que ma sœur et ma nièce n’aillent à Saint Quentin vous y prendre, le faussaire à substitué à cette phrase, celle qui suit : Je ne doute pas que ma sœur et ma nièce n’aillent à Saint Quentin nous y attendre tous. Les experts sont convenus unanimement de cette fausseté : lesdites réformes, disent-ils, de même que le mot, tous, sont non-seulement de main étrangere et ajoutés après coup, mais encore d’autre plume et encre.

L’objet de cette alteration est d’insinuer que l’intention du comte d’Hautefort étoit d’aller trouver la demoiselle de Kerbabu à Saint Quentin, comme il convenoit, s’il avoit dessin de l’épouser, au lieu qu’aux termes de la lettre, c’étoit la demoiselle de Kerbabu qui devoit se rendre à Auterive, ce qui n’indique qu’une partie de plaisir et une promenade sans consequence ; il y a donc dans la lettre une alteration sensible, et une alteration dans laquelle on s’est proposé de préparer les esprits à la fable que l’on debite.

Dans la sixième lettre il y avoit : Je compte vous aller voir dans le mois d’avril avec votre permission, l’ayant du maître et de la maîtresse ; ce n’étoit pas [page 9] à Saint Quentin, mais à Auterive que le comte d’Hautefort prétendoit aller voir la demoiselle de Kerbabu, comme la lettre suivante le prouve invinciblement ; c’étoit pour cela qu’il avoit pris lapermission du maître et de la maîtresse ; c’est-à-dire, des sieur et dame de Saint Quentin ; quoi qu’il en soit, on a changé ces derniers mots en ceux-ci : Etant le maître et vous la maîtresse ; il n’est pas besoin de s’étendre en raisonnemens sur cet article ; l’objet de l’alteration est assez évidente, elle est encore reconnue de tous les experts qui conviennent que pour y parvenir, on a graté des lettres, et qu’on en a formé d’autres d’une main étrangere.

Dans la septième lettre il y avoit ; en parlant de la comtesse d’Epinay : Elle espere arranger le tout pour vous aller prendre pour venir à Auterive y passer un mois, la même compagnie y sera, à ce que j’espere ; j’espere faire route pour Mon-Gaillardin après Pâques, les beaux jours et les beaux chemins se trouvent en ce tems-là. Au lieu de cela, le faussaire a mis : Elle espere arranger le tout pour vous aller prendre pour venir tous à Auterive, je passerai par chez moi, la même compagnie y sera, à ce que j’espere ; je compte faire route pour Mon-Gaillardin, après à Saint Quentin, les beaux jours et les chemins se trouvent en ce temps là. Le faussaire toujours conduit par les mêmes vues, cherche par tout à attribuer au comte d’Hautefort le dessin d’aller à Saint Quentin, il ne ménage pas même pour cela la vrai-semblance ; car que peuvent signifier ces termes : je compte faire route par Mon-Gaillardin, après à Saint Quentin, les beaux jours et les chemins se trouvent en ce temps là ; au lieu de que le sens naturel de la lettre avant l’atération ne présentoit rien que d’exact :Je compte faire route pour Mon-Gaillardin, après Pâques, les beaux jours et les chemins se trouvent en ce tems-là. Il y a donc ici alteration et fausseté manifeste ; il y a un dessin formé d’attribuer au comte d’Hautefort des vues de mariage. Et dès lors aux yeux de toute personne sensée ce mariage dont on fait tant de bruit, n’est qu’une imposture apuyée sur le mensonge.

Dans la onzième lettre on a ajouté une ligne entiere, il y avoit dans cette lettre : Je voudrois bien que vous prissiez vous mesures pour venir avec ma sœur passer un mois à Auterive ; au lieu de cela, on a mis : Je voudrois bien que vous prissiez vos mesures pour venir avec moi, je veux devenir votre maître, ma sœur passer un mois à Auterive  ; pour cela, du mot, maqui étoit le dernier de la premiere page, on en a fait moi, et ajoutant une ligne au-dessous, on a mis, je veux devenir votre maître ; enfin au haut de la seconde page, on a mis, ma, pour joindre aux termes suivants, et faire ma sœur passer un mois à Auterive. Lambert un des experts est convenu que la phrase avoit été changée, et que la ligne, je veux devenir votre maître, avoit été ajoutée après coup. A l’égard du mot, ma, qui est au haut de la seconde page, il soutient expressement qu’il est de main étrangere.

Les deux lettres même qui parlent du mariage ne sont pas demeurées à l’abri de toute critique ; il est vrai que le faussaire qui les a composées en entier a eu plus de liberté pour contrefaire l’écriture du comte d’Hautefort, cependant il y a dans ces lettres quelques mots en interligne dont les experts n’ont pas pu reconnoitre l’auteur.

Ainsi ces lettres que l’on avoit annoncées comme des pieces si pures, [page 10] ont été ou fabriquées en entier, ou du moins alterées. Ces alterations ne peuvent être imputées qu’à la demoiselle de Kerbabu, c’est à elle que les lettres sont écrites, c’est elle qui les represente, elle ne sont donc point sorties de ses mains, et n’ont pu être fabriquées que par elle ; qu’elle nous explique après cela pourquoi une main étrangere a travaillé sur ces pieces, et pourquoi tous les changemens qui s’y trouvent ne sont propres qu’à soutenir l’idée du mariage sur lequel elle fonde ses prétentions. Mais, dit-on, le corps des deux lettres qui parlent du mariage, a paru aux experts être entierement écrit de la main du comte d’Hautefort, aussi bien que la quittance de dot ; ces pieces sont donc à l’abri de toute critique.

Cette distinction ne détruira pas le moyen qui résulte de tant d’alterations établies par le raport même des experts ; quand de vingt écrits representez par une même partie qui n’en tire qu’une même induction, il s’en trouve huit ou dix dans lesquels l’alteration est sensible au jugement des experts, peut-on dire que si la fausseté des autres ne les a pas également frapés, le magistrat leur doive pour cela une foi entiere ; ces faussetés découvertes dans une partie des écrits entraînent necessairement la ruine des autres qui leur sont si intimement unis.

En cela le magistrat ne forme pas, à proprement parler, un jugement contraire à celui des experts, puisque c’est de leur raport même qu’il tire le moyen qui le détermine à rejetter la piece ; mais il suit une route differente dans l’examen qu’il en fait après eux, parce que la loi qui le guide l’eleve au-dessus des vues qui conviennent aux experts.

Que les experts jugent de chaque piece en particulier sans consulter la relation qu’elles peuvent avoir entre elles ; il est de leur ministere de se renfermer dans ces bornes étroites ; et de ne rendre compte, pour ainsi dire, que du témoignage de leur yeux ; mais le magistrat reservé à des fonctions plus sublimes, doit aller plus loin, il doit combiner ce que le raport des experts a de favorable dans une partie, avec des soupçons legitimes qu’il fait naître dans une autre, et former sur la réunion de ces objets un jugement superieur à celui des experts. Autrement ce seroit avilir son caractere, et exiger de lui une déference servile pour des experts destinés à lui communiquer leurs lumieres, mais non pas à asservir les siennes.

Suivant ces regles, le raport des experts fournit un moyen invincible pour rejetter les pieces dans lequelles la demoiselle de Kerbabu veut trouver la preuve du corps de délit ; si ces pieces avoient paru seules, et que les experts n’eussent rien aperçu qui pût faire douter de leur verité, il seroit peut-être des regles d’y deferer ; mais quand elles paroissent accompagnées de plusieurs autres que la partie presente comme exemptes de tout soupçon, et que les experts ont cependant jugé alterées ; alors il n’est plus permis de compter sur des écrits que le mensonge et l’imposture accompagne ; la main qui les produit ne merite plus de confiance, convaincue d’avoir voulu tromper la justice par des écrits falsifiés, tout ce qu’elle administre pour [page 11] parvenir au même objet est legitimement suspect ; il n’en faut donc pas davantage pour déterminer le magistrat à rejetter tout ce qui sort d’une source si corrompue.

Du moins n’établira-t’on jamais sur de semblables écrits la preuve d’un corps de délit : pour déferer à la justice un crime qui devienne l’objet de ses recherches et de ses vengeances, il faut que l’accusateur lui-même soit à couvert de tout reproche, et les pieces sur lesquelles il se fonde exemptes du plus leger soupçon ; mais quand de vingt écrits representés par l’accusateur pour établir le même corps de delit, il y en a incontestablement plusieurs de falsifiés ; est-il permis, sans violer les regles les plus constantes, d’admettre son accusation sur la fois des autres ?

2o Quand on pourroit les reconnoître pour des pieces dignes de foi, pourroient-elles même, dans ce qu’elles renferment, établir un corps de délit ? On trouve dans une lettre ou deux, et dans une reconnoissance sous seing-privé, une simple énonciation d’un contrat de mariage ; supposons pour un moment ces pieces veritables, en est-ce assez aux yeux de la raison et de la justice pour ne plus douter de l’existence de ce contrat ; qui peut sçavoir dans quelles vues on s’est expliqué alors, souvent on ne ménage pas beaucoup les expressions dans des lettres qui ne sont point destinées à paroître à la face de l’univers ; faudra-t’il que des heritiers soient comptables de ce qui se trouvera dans de semblables écrits par forme de simple énonciation.

D’ailleurs le contrat dont on parle dans les lettres, étoit-il une piece authentique ? Un acte solemnel reçu par deux notaires dont il fut resté minute, et qui fut contrôlé, c’est ce que les pieces représentées ne disent point, et ce que l’on ne peut pas penser, principalement si on raproche ces écrits des lettres de la demoiselle de Kerbabu. J’étois sur le point d’épouser monsieur le comte d’Hautefort, dit-elle au marquis d’O, il y a même un contrat de mariage écrit, me refuserez-vous d’en parler à monsieur son frère, seulement pour lui faire connoître que cet engagement n’a rien de commun avec ceux dont messieurs de la marine sont taxés quelquefois. Que signifie ce langage ? Loin de présenter l’idée d’un contrat de mariage en forme, il n’annonce qu’un projet, qu’un papier informe, et c’est pour cela qu’elle vouloit qu’on rassura le marquis d’Hautefort contre le soupçon qu’il auroit pu former sur la nature de l’engagement de son frère ; si le comte d’Hautefort a veritablement écrit les lettres qu’on lui impute, il n’a pu y parler du contrat de mariage que dans le même sens, ainsi ces lettres ne pourroient jamais établir l’existance d’un veritable contrat de mariage, ni faire par consequent la preuve d’un corps de délit.

3o Si les preuves que rapporte la demoiselle de Kerbabu, ne peuvent jamais faire d’impression ; combien doit-on être touché au contraire de celles qui vont démontrer que jamais le prétendu contrat de mariage n’a existé.

On ne peut se rappeler les lettres qu’elles a écrites elle-même, tant au marquis d’O, qu’au marquis d’Hautefort, sans être penetré de la [page 12] plus juste indignation contre les plaintes qu’elle a répandues depuis au sujet de la prétendue supression de son contrat de mariage. Elle y declare dans les termes les plus clairs et les plus précis, qu’il n’y a point eu de mariage entre le comte d’Hautefort et elle ; elle lui attribue à la verité des vues qui pouvoient disposer à cette union, mais elle convient précisément qu’elles n’ont jamais été remplies ; que lui serviroit après cela un prétendu contrat de mariage, s’il y en avoit eu un de redigé ? Un contrat de mariage, lorsque le mariage n’a point été celebré, n’est-il pas une piece inutile, impuissante, imparfaite ? D’ailleurs elle n’ose pas même avancer qu’il y ait eu un contrat signé par les parties, elle n’en parle que comme d’un simple projet, que comme une ébauche ; elle craint par cette raison que l’on ne regarde les relations qu’elle avoit avec le comte d’Hautefort comme suspectes ; quelles preuves plus victorieuses peuvent donc combattre une accusation que le propre témoignage de l’accusatrice dans des écrits si clairs et si précis ?

Que deux ou trois témoins dans l’information de la demoiselle de Kerbabu eussent tenu le même langage qu’elle a tenu dans ses lettres ; que pourroit-elle opposer à leurs dépositions ? Mais ici nous avons quelque chose de bien plus fort et de bien plus décisif, c’est son propre témoignage. C’est l’accusatrice, qui dans un tems non suspect, se confond et se condamne elle-même : jamais aucun accusé a-t-il eu un pareil avantage ?

Les circonstances même dans lesquelles ces lettres ont été écrites leur donnent un nouveau poids. C’est depuis la mort du comte d’Hautefort, et dans un tems où il ne subsitoit aucune raison pour tenir le mariage secret, s’il avoit été celebré, c’est après avoir reçu de la part du comte de Surville des lettres dont la demoiselle de Kerbabu prétend avoir eu les plus justes sujets de se plaindre ; c’est dans un tems où elle convient qu’elle n’avoit plus aucune esperance de se concilier avec lui ; c’est en un mot dans le tems où elle se disposoit à lui declarer la guerre : cependant dans ces circonstances, elle lui mande précisément, que si la mort n’avoit prévenu le comte d’Hautefort, il l’auroit épousée, et elle ose après cela fonder sur le fait contraire de ce même mariage la baze de son accusation ; l’aveuglement peut-il être porté à de tels excès ?

Quelle dise tant qu’elle voudra qu’elle avoit encore interêt de cacher son mariage pour n’être point traversée dans les recherches des pieces qui pouvoient le soutenir : premierement, c’est se faire à soi-même l’injure la plus cruelle et la plus sanglante, que de se donner pour une personne capable de désavouer publiquement son état ; secondement, ce seroit le comble de l’extravagance, que d’user d’un pareil artifice ; celle qui a interêt d’établir son état, et qui cherche des pieces pour l’autoriser, commenceroit-elle par le dénier elle-même ? Troisièmement, la demoiselle de Kerbabu mariée, selon elle, dans le château d’Auterive par le curé d’Argentré, chez lequel elle avoit dîné le même jour, n’ignoroit pas où devoit se trouver son acte de celebration ; falloit-il tant de mysteres, tant de recherches pour l’avoir ; [page 13] s’il y avoit eu réellement un mariage contracté entre le comte d’Hautefort et elle depuis la mort du comte d’Hautefort jusqu’à la date de ces lettres, elle avoit eu quatre fois plus de tems qu’il ne falloit pour le faire expedier ; il en étoit de même du contrat de mariage ; l’embarras dans lequel elle se supose, trois mois après la mort du comte d’Hautefort, ne sert donc qu’à faire connoître qu’elle pensoit bien plutôt à fabriquer de fausses pieces, qu’à en rechercher de veritables.

Enfin si on eut ainsi, sous pretexte des vues que l’on supose dans la personne qui écrit, rejetter tout ce qui se trouve dans ses lettres, pourquoi veut-on que nous déferions aux lettres que l’on attribue au feu comte d’Hautefort ? Nous dirons aussi qu’il pouvoit avoir ses raisons pour parler de mariage, quoiqu’il n’y en eut point ; c’est la demoiselle de Kerbabu qui nous donne l’exemple de ces explications si contraires au texte ; peut-elle trouver mauvais qu’on le suive ?

En un mot, voilà des lettres du comte d’Hautefort qui disent qu’il est marié ; en voilà de la demoiselle de Kerbabu qui disent qu’elle ne l’est pas, ausquelles doit-on donner la préference ? Si on veut consulter les regles de la justice, il n’y a personne qui ne convienne que celles de la demoiselle de Kerbabu, reconnues par elle-même, doivent l’emporter de beaucoup dans la balance, sur celles qu’on attribue à un homme après sa mort, et qui sont devenues si suspectes par la verification même qui en a été faite.

Les lettres de la demoiselle de Kerbabu fourniront donc toujours un argument invincible contre son accusation, et détruiront toujours la fable de son mariage ; ajoutons pour combattre de plus en plus l’existence du prétendu contrat de mariage, que si il y en a eu un, il a dû rester en minute entre les mains du notaire qui l’a reçu, que cette minute a dû être contrôlée ; cependant il n’y a ni minute chez le notaire, ni aucune mention dans le registre du contrôle qui ait raport à ce prétendu contrat de mariage ; comment peut-on donc avancer que cette piece ait jamais existé ?

Cela est vrai, dit la demoiselle de Kerbabu, mais c’est qu’on a enlevé la minute de chez le notaire, et qu’on a aussi suprimé dans le registre du contrôle la mention qui y a été faite ; voilà donc le notaire devenu le premier coupable ; ainsi pour que l’accusation se soutienne, il faut que la demoiselle de Kerbabu commence par établir que la minute a été enlevée, et que le registre de contrôle a été alteré, sinon il est impossible de suposer un corps de délit.

Mais en premier lieu, quelle preuve a-t’elle qu’il y a eu une minute, et que le notaire a poussé la prévarication jusqu’à la livrer ; s’il y en avoit eu le plus leger indice, le notaire n’auroit pas échapé aux poursuites de la justice, cependant il n’a pas même été impliqué dans l’accusation, et il continue tranquillement ses fonctions comme au-dessus de tout soupçon ; cette circonstance seule seroit décisive.

Le notaire a-t’il livré la minute du contrat de mariage ? On a trop differé à poursuive sur lui la vengeance d’un crime qui blesse la sureté publique, n’est-il point coupable de cette prévarication ? La [page 14] minute n’a donc jamais existé, et par consequent il n’y a point eu de grosse qui ait été, ni qui ait pu être suprimée.

Mais comment auroit-on pu seulement soupçonner ce notaire ? Pour être persuadé de son innocence, il suffit de considerer la conduite de la demoiselle de Kerbabu : elle part de Saint Quentin au mois de juin 1727 et se rend dans le Maine uniquement pour chercher, dit-elle, les pieces qui établissoient son état de veuve du comte d’Hautefort ; aussi-tôt qu’elle y est arrivé, elle s’adresse à plusieurs notaires, et entre autres à Ains notaire de Montsur, qui étoit alors, selon elle, dépositaire de la minute de son contrat de mariage ; elle se présente à lui munie de deux pieces ; l’une est une requête qu’elle avoit présentée au sieur de Farci subdelegué de l’intendant de la province, répondue par une ordonnance, qui lui permettoit de se faire délivrer un extrait du registre du contrôle ; l’autre est une lettre du même subdelegué écrite à Ains lui-même, par laquelle il l’exhorte à faire la recherche de la piece que la demoiselle de Bellinguant se propose de trouver, sans qu’elle soit obligée de faire signifier l’ordonnance par un huissier ; il lui témoigne qu’il lui sera très-obligé de l’attention qu’il aura à faire cet examen. Munie d’une recommandation si puissante, la demoiselle de Kerbabu se rend donc chez Ains qui étoit en même tems notaire et contrôleur ; elle lui remet la lettre du sieur de Farci, et demande avec empressement qu’il fasse la recherche qui lui étoit si vivement recommandée ; mais cette demande n’a rien produit, et la demoiselle de Kerbabu s’est retirée sans contrat de mariage et sans extrait du registre du contrôle.

Quelle est la conséquence necessaire que l’on doit tirer de ses faits, sinon que Ains n’avoit jamais reçu de contrat de mariage, et que par conséquent il n’en étoit fait aucune mention dans le registre du contrôle ; car s’il avoit eu alors cette piece si désirée, il auroit dû se prêter de lui-même à une demande si juste, si raisonnable ; son devoir, son interêt propre, la crainte d’une autorité superieure, tout auroit dû le rendre facile, et s’il avoit résisté, rien n’étoit plus aisé que de le contraindre par les voyes de la justice qui étoient déjà toutes réparées par la requête que la demoiselle de Kerbabu avoit présentée, et par l’ordonnance qu’elle avoit obtenue ; pourquoi donc ne s’en est-elle pas servie ? Jamais on n’en peut reconnoître d’autre motif, sinon qu’elle sçavoit parfaitement qu’il n’y avoit jamais eu de contrat de mariage, et qu’elle auroit fait un éclat inutile, ou même dangereux pour elle, autrement sa conduite seroit incomprehensible ; elle part exprès de Saint Quentin, elle va trouver le notaire qui a son contrat de mariage ; elle est armée de tout ce qui peut être necessaire pour tirer de lui ce titre précieux, et quoiqu’il l’eut actuellement, elle se retire sans obtenir ni extrait, ni expedition, et sans former même la moindre plainte contre lui ; à qui persuadera-t’on de telles absurdités ?

Il faut donc conclure des démarches même de la demoiselle de Kerbabu, que Ains n’avoit point le contrat de mariage, et en effet elle ne l’a suposé et ne l’a nommé comme le coupable qui avoit livré [page 15] la minute de son contrat de mariage trois mois après qu’elle lui avoit parlé, que quand elle a sçû qu’il avoit déposé si fortement contre elle ; jusques-là son contrat avoit été reçu par Le Chaigne et du Chast deux notaires de Laval, aujourd’hui il n’y en a qu’un, et c’est Ains notaire de Montsur ; une contradiction si grossiere née dans de telles circonstances ; et après les démarches que l’on vient d’expliquer, justifiera toujours ce notaire, et établira de plus en plus qu’il n’y a jamais eu de contrat de mariage.

Il est également impossible de suposer que cette prétendue minute ait été contrôlée ; il n’est point ici question de raisonnemens ; il n’y a qu’à consulter la piece même ; le registre existe, il est en bonne forme, et ne contient rien qui ait raport au prétendu contrat de mariage ; les monumens les plus autentiques s’élevent donc contre la fable de la demoiselle de Kerbabu.

Pour détruire cette preuve, elle avoit osé avancer que le registre étoit alteré, mais c’est une suposition qu’elle a été obligée d’abandonner ; si elle avoit voulu la soutenir, il auroit fallu faire aporter le registre et le joindre au procès, mais elle n’a pas osé faire une démarche qui auroit devoilé si clairement la calomnie, elle a mieux aimé abandonner ce chef de sa plainte : la piece conserve donc toute son autorité ; et comme on n’y trouve aucune mention du contrat de mariage, il est évident qu’il n’a point été contrôlé.

On croit donc avoir établi qu’il n’y a jamais eu de contrat de mariage entre le comte d’Hautefort et la demoiselle de Kerbabu, que les pieces qu’elle raporte pour l’établir sont trop suspectes et trop foibles pour balancer celles qui démontrent au contraire que ce titre n’a jamais existé.

Mais quand on supposeroit pour un moment qu’il y a eu un contrat de mariage, et que le comte d’Hautefort l’avoit en sa possession lorsqu’il a écrit les lettres qu’on lui attribue, il faudroit au moins convenir qu’il n’y a aucune preuve que la grosse du contrat de mariage fut parmi ses papiers lors de son decès, circonstance cependant absolument necessaire pour établir un corps de délit.

La preuve de l’existence du contrat de mariage au moment du décès, ne pourroit se trouver que dans les lettres et autres écrits presentez, ou dans les informations.

Il faut pour cela supposer ces écrits véritables, et raisonner sur ce qu’ils renferment, comme si on y devoit ajouter une foi entiere ; or dans cette supposition, quelle idée nous presentent les écrits dont on fait tant de bruit ?

A l’égard des lettres et autres actes que l’on attribue au comte d’Hautefort, non-seulement ils ne prouvent point et ne peuvent pas prouver que le contrat de mariage fut parmi ses papiers lorsqu’il est decedé, puisqu’ils sont anterieurs de près de deux mois au jour de sa mort ; mais on trouvera qu’ils détruisent necessairement le fait de la plainte, c’est-à-dire la prétendue soustraction du contrat de mariage.

Dans la lettre du 7 novembre 1726 le comte d’Hautefort mande [page 16] à la demoiselle de Kerbabu : gardés bien et avec soin les papiers que je vous ai donnés, car si je venois à manquer, etc.

Le comte d’Hautefort croyoit donc avoir donné à la demoiselle de Kerbabu pendant qu’il étoit à Auterive plusieurs papiers concernant leur mariage, c’est l’interprétation qu’elle a donné elle-même à ces termes ; ainsi l’intention du comte d’Hautefort étoit qu’elle eût les papiers pardevers elle ; il croyoit les lui avoir laissés, il lui recommande de les garder avec soin.

Elle lui répond qu’il faut qu’il se soit trompé, et qu’elle n’a point les papiers qu’il croyoit lui avoir laissés, du moins c’est elle qui prétend avoir fait cette réponse ; elle ajoute, que pour la calmer, le comte d’Hautefort lui manda par une lettre du 17 decembre : vous avez raison, en arrivant à Paris j’ai trouvé ce que je croyois vous avoir donné à Auterive, le tout est ensemble avec notre contrat de mariage dans ma cassette.

Enfin à la suite de ces faits et de ces écrits, on trouve une envelope sur laquelle le comte d’Hautefort adresse à la demoiselle de Kerbabu au château de Saint Quentin tous les papiers qui avoient raport au mariage, et entre autres le contrat de mariage même. Quelle est la consequence naturelle que l’on peut tirer de toutes ces pieces, même en les suposant vrayes, sinon que le comte d’Hautefort ayant trouvé à Paris ce qu’il croyoit avoir laissé à la demoiselle de Kerbabu, et ce qu’il lui recommandoit de garder avec soin, il le lui a envoyé au château de Saint Quentin comme un dépôt qui lui étoit destiné.

Pourquoi faire un paquet de tous ces papiers ? Pourquoi les mettre dans une envelope ? Pourquoi les adresser à la demoiselle de Kerbabu à Saint Quentin ? Si le comte d’Hautefort prétendoit les laisser tranquillement dans sa cassette, il faudroit donc reconnoître que ces papiers ont été envoyés à la demoiselle de Kerbabu, et par consequent il ne seroit pas extraordinaire qu’ils ne se fussent pas trouvés parmi les papiers du comte d’Hautefort lors de son decès.

Ce raisonnement acquiert un nouveau degré de force, si l’on est persuadé que l’envelope qui paroît ne peut être sortie que des mains de la demoiselle de Kerbabu ; car si elle a eu l’envelope, elle a eu necessairement les papiers qui étoient envelopés. Mais comment pourroit-on douter que l’envelope ne soit sortie de ses mains ? Elle est au procès, elle y est comme une piece que la demoiselle de Kerbabu a cru victorieuse pour elle, et dont elle a fait faire la verification : par qui y a-t’elle été mise ? Personne ne se presente pour la reconnoître, pour l’adopter ; on ne peut donc pas douter que ce ne soit la demoiselle de Kerbabu qui l’ait produite ; et en effet, on n’oubliera jamais avec quelle confiance elle avoit vanté cette piece, bien avant que le paquet fut déposé au greffe ; tout ce qui y est contenu avoit été rendu public par elle et par ses partisans ; c’est donc elle-même qui a administré cette piece à la justice.

Envain pour se cacher, la demoiselle de Kerbabu a-t’elle envoyé avec cette envelope une prétendue révelation anonime qui attribue à un inconnu la découverte de cette piece ? L’artifice est trop grossier pour qu’aucune personne sensée en puisse être seduite.

[page 17] Cet inconnu se place chez Martinon dans les premiers jours de fevrier 1727. N’ayant trouvé personne dans le bas de la maison, il monte à la premiere salle : il y trouve le comte de Surville, qui lisoit des papiers ; il se retire par respect, et ayant vu descendre monsieur le comte de Surville, il remonte dans la même salle, où étant auprès du feu avec un ami, il voit du papier dans le coin de la cheminée ; il en ramasse deux ou trois morceaux presque brûlés ; il est longtems sans sçavoir ce qu’il en a fait : il ajoute qu’en ayant parlé il y a plus de six mois, une personne l’a engagé de les chercher ; qu’il les a trouvé bouchant un flacon ; que son confesseur l’a obligé à les déposer, sa conscience y étant engagée ; mais qu’il ne veut point se nommer, par la frayeur d’être assassiné.

A des traits si singuliers, il est impossible de ne pas reconnoître la plus noire calomnie, et la malignité la plus odieuse. Quel est ce personnage misterieux, par lequel on fait débiter des fables si grossieres ? C’est un spectre que l’on nous donne ici pour témoin ; c’est une ombre fugitive, qui fait retentir une voix jusqu’à laquelle il est impossible de remonter. L’auroit-on pu croire, si cette pièce bisarre n’étoit pas actuellement sous les yeux de la justice ?

Ce que contient cette relation, répond parfaitement à l’origine qu’on lui donne. Cet inconnu ne trouve personne dans le bas de la maison de Martinon ; il monte dans la premiere salle, où il trouve le comte de Surville qui lisoit des papiers. L’auteur du roman ne connoissoit pas bien la carte du pays où il place sont héros. Le comte d’Hautefort étoit logé chez Martinon, au rez-de-chaussée : le comte de Surville, qui étoit auprès de son oncle, n’en sortit, lorsqu’il le vit près d’expirer, que pour passer dans l’antichambre, qui étoit aussi au rez-de-chaussée, et n’a jamais monté au premier étage. Comment donc l’auteur de la révelation le trouve-t’il, lisant des papiers, à la premiere salle ? Comment l’en avoit-il vu descendre ?

D’ailleurs, les domestiques du comte d’Hautefort entendus dans l’information de la demoiselle de Kerbabu, déposent tous que le comte de Surville sortit dans le même instant qu’on lui eut annoncé la mort. Comment donc après la mort, l’anonime l’a-t’il vu lisant tranquillement des papiers ? A qui doit-on ajouter quelque foi, ou à des témoins connus, engagés par la religion du serment, ou à un phantôme, qui peut sans crainte hazader toute sorte d’imposture ?

Que signifie d’ailleurs ces circonstances bizarres, et que l’on passeroit à peine dans un roman : il se trouve deux ou trois morceaux de papier presque brûlés dans un coin de cheminée ; il les ramasse sans objet et sans attention ; il les conserve sans soin : et cependant quand il deviennent interessans, il les retrouve tout d’un coup, et dans un lieu où certainement personne ne les auroit été chercher ; il les reconnoît ; il se souvient exactement du tems, du lieu, et de toutes les circonstances dans lesquelles il les a trouvés ? Les tribunaux de la justice admettent-ils donc de ces dénouemens que le théâtre pardonne à peine pour terminer une action trop embarassée ?

Enfin, n’admirera-t’on pas cette délicatesse de conscience, qui [page 18] porte l’auteur de la révelation à déposer des fragmens qui peuvent être utiles à la demoiselle de Kerbabu, et à faire entendre en même tems que le marquis d’Hautefort est un homme capable de le faire assassiner, si il se découvroit ? Quelle étrange religion, que celle qui inspire des soupçons si odieux et si témeraires, et qui ne sert un parti que pour décrier l’autre par la plus affreuse de toutes les calomnies ! Pour méconnoître après cela la demoiselle de Kerbabu dans cette révelation, il faudroit se refuser à l’évidence même. Quand on fera usage de sa raison, il est impossible de ne pas demeurer convaincu que c’est elle seule qui l’a forgée, et qui l’a envoyée au curé de Saint Jean avec les fragmens qui étoient en sa possession : mais si cela est, comme on n’en peut pas douter, elle avoit donc l’envelope, et par conséqent les papiers qu’elle renfermoit. Que l’on juge après cela du caractere d’une accusation dans laquelle elle se plaint qu’on les lui a enlevés.

Cette révélation, loin de soutenir une accusation si décriée, ne sert donc qu’à en faire connoître de plus en plus toute la noirceur. La demoiselle de Kerbabu s’est vue sans preuve, sans indice pour soutenir la fausse démarche dans laquelle elle s’étoit engagée ; elle a crû se sauver par un trait que personne n’avoit osé tenter avant elle ; elle presente un ecrit qu’elle brûle avec art, elle fait respecter par les flammes tous les endroits qui lui peuvent être essentiels ; et pour lui donner une origine qui puisse favoriser sa calomnie, elle le soutient d’une révelation anonime qu’elle compose, qu’elle fait écrire et qu’elle envoye comme un titre prétieux. A quoy ne doit-on pas s’attendre d’une personne capable d’enfanter de pareils projets, et de les mettre à execution ?

Mais si elle avoit en sa possession les papiers qu’elle prétend avoir été divertis, pourquoi ne les representeroit-elle pas, dit-on ? Personne n’a plus d’interêt qu’elle de les faire paroître ; frivole pretexte qui ne balancera jamais la force des inductions qui se rirent de ses propres pieces.

Pourquoy ne les representeroit-elle pas ? Parce qu’il n’y a rien dans ces pieces qui pût soutenir son mariage, ni les avantages qu’elle prétend se procurer, parce qu’elle n’y a trouvé que des papiers informes, et dont on ne pouvoit faire aucun usage en justice, parce qu’en un mot, suivant qu’elle l’a mandé elle-même dans ses lettres, ce n’étoit qu’un contrat de mariage écrit, c’est-à-dire projetté, mais qu’aucun notaire n’avoit reçu, et qui n’étoit revêtu d’aucun caractere d’autorité publique ; voilà ce qui l’a obligé de supprimer ce qu’elle ose accuser les autres d’avoir diverti, elle a préferé de simples énonciations, aux pieces même qu’on lui avoit envoyées, parce que le vice de ces pieces ne se manifestant pas dans de simples énonciations, elle est en état de supposer tout ce qui pourroit favoriser son usurpation.

Mais de quelqu’obsurité qu’elle ait cherché à s’envelopper, elle n’en imposera point à ceux qui étudieront de plus en plus ses démarches, et qui tireront des pieces même representées les veritables inductions qui en résultent.

[page 19] Les lettres et autres ecrits representés par la demoiselle de Kerbabu loin d’établir le corps du délit, c’est-à-dire l’existence de la grosse du contrat de mariage au moment du deceds, ne servent donc au contraire qu’à en effacer jusqu’au plus leger soupçon, puisqu’en les supposant véritables, il faut reconnoître que ce contrat qu’on suppose avoir été supprimé depuis la mort du comte d’Hautefort, avoit été envoyé auparavant à la demoiselle de Kerbabu.

Les informations ne sont pas moins décisives contre elle ; elle a fait entendre plus de cinquante témoins, et entre autres tous les domestiques que le comte d’Hautefort avoit à son service pendant sa derniere maladie ; qu’on consulte leurs dépositions, et on n’en trouvera pas une seule qui puisse donner quelque indice de l’existence de la grosse du contrat de mariage, au moment du deceds ; il n’y a pas un témoin qui ait vu cette piece, pas un seul qui ait ouï dire que d’autres l’ayent vue ; il n’y en a pas un qui ait même sçû qu’elle ait existé dans aucun tems, et qui en ait eu la connoissance la plus imparfaite : qu’elle étrange accusation que celle qui se trouve combattue par le suffrage de tous les témoins que l’accusatrice elle-même a produite ! Pour se justifier, le marquis d’Hautefort n’a point de titre plus puissant à presenter à la justice que l’information même faite contre lui ; n’est-ce pas le triomphe le plus complet et le plus honorable que l’innocence puisse recevoir.

Il est vrais cependant que dans ses derniers écrits, la demoiselle de Kerbabu a voulu tirer quelque avantage des discours d’un seul témoin qui est Françoise Champagne, mais rien n’est plus propre à décrier sa cause, et à en faire sentir tout le foible, que le choix qu’elle a fait des discours de cette servante pour en faire son plus ferme appuy.

On ne s’arrêtera point à relever que la déposition d’un seul témoin n’est d’aucun poids en justice ; cette défense conviendroit à une cause dans laquelle on peut faire naître des doutes, et où l’accusé ne se propose que de les affoiblir, mais il convient au marquis d’Hautefort d’aller beaucoup plus loin, et de faire voir que ce témoin ne dit rien qui puisse établir aucun corps de délit, et que si il parloit d’une maniere favorable à la demoiselle de Kerbabu, il ne pourroit jamais meriter la confiance de la justice.

Dans sa déposition Françoise Chamapagne dit, que la nuit du 5 au 6 fevrier 1727 Bourguignon, laquais du comte d’Hautefort, vint à l’hôtel tout épleuré dire que son maître étoit bien mal, qu’il mourut le 6 dans la matinée, qu’avant même qu’il fut mort, Mandex fut avertir le marquis de Surville de l’état où il étoit ; que Gasselin homme d’affaire de madame de Surville, vint dans la maison et monta avec Mandex dans l’appartement du comte d’Hautefort, où ils resterent long-tems seuls ; que sur les 7 à 8 heures du soir du même jour le corps de monsieur le comte d’Hautefort fut apporté dans son carosse, que le scellé ne fut apposé que le lendemain dans la matinée.

Dans son recolement, elle déclare que sa déposition contient [page 20] verité, et qu’elle n’y veut augmenter ni diminuer, fors qu’elle ajoute que c’a été par erreur qu’elle a dit que le comte d’Hautefort mourut le 6 fevrier 1727 dans la matinée, et qu’il mourut le 7 desdits mois et an au matin ; ajoute encore qu’elle n’a point dit qu’avant même que monsieur le comte d’Hautefort fut mort, Mandex fut avertir monsieur le marquis de Surville de l’etat où il étoit, qu’un nommé Gasselin homme d’affaires de madame de Surville vint dans la maison, et monta avec Mandex dans l’appartement de monsieur le comte d’Hautefort, où ils resterent long-tems seuls, mais qu’il est vrai que Mandex fut avertir dès le grand matin du jour de la mort du comte d’Hautefort monsieur de Surville de l’état où il étoit ; que ce fut le même jour après midi et dans le tems qu’on alloit apposer le scellé, que Gasselin vint dans la maison et monta avec Mandex et Soutet dans la chambre de Mandex où ils resterent tous les trois ensemble environ une demie heure, après laquelle, elle répondante, monta les joindre, et resta avec eux trois quarts d’heure jusqu’à ce que différentes personnes l’appellerent pour aller et venir ; que pendant que Mandex, Gasselin et Soutet étoient ensemble, elle présente, Mandex ouvrit une cassette garnie de lames d’acier de monsieur le comte d’Hautefort, dont il avoit la clef, et vit dans ladite cassette plusieurs paquets cachetez, dont trois ou quatre de la longueur de 8 a 9 pouces sur environ 5 pouces de large ; que Gasselin et Soutet demanderent ce que c’étoit que ces papiers : à quoi Mandex répondit que c’étoient des lettres de la marine, mais n’a point vu qu’on ait ôté aucun papier de ladite cassette, a seulement vu que Mandex en tira plusieurs Louis d’or vieux ; ne sçait à quelle somme ils montoient : sçait que ledit Mandex les a effectivement portés à la monnoye, et en a rapporté d’autre argent ; ajoute que le corps du comte d’Hautefort ne fut point porté dans son carosse, mais dans celui de monsieur Rivié ledit jour 7 fevrier ; et est mémorative, que ce fut le même jour que le scellé fut apposé dans l’après dinée et non pas le lendemain dans la matinée.

Il n’y a personne qui ne soit frappé d’abord des différences sensibles qui se trouvent entre la déposition et le recolement ; dans la déposition, c’est le 6 fevrier que le comte d’Hautefort est mort ; dans le recolement, c’est le 7 : dans la déposition Gasselin et Mandex montent dans l’appartement du comte d’Hautefort et y restent longtems seuls ; dans le recolement, Gasselin et Mandex ne montent point dans l’appartement du comte d’Hautefort, mais dans la chambre de Mandex, ils n’y montent point seuls, mais accompagnez de Soutet, et Françoise Champagne y monte aussi quelque tems après, et y reste trois quarts d’heure avec eux : dans la déposition, on ne parle point de l’ouverture de la cassette, des paquets trouvez, ni de la qualité des papiers qui y étoient renfermez : dans le recolement, c’est ce qui fait le principal objet du témoin. Dans la déposition, le corps du comte d’Hautefort est apporté dans son carosse ; dans le recolement, c’est dans le carosse du sieur Rivié : dans la déposition, le scellé ne fut apposé que le lendemain, dans le recolement, il fut apposé le même jour ; ces variations suffiroient pour faire perdre tout crédit à un témoin qui déposeroit de faits importans.

Mais que peuvent servir ces circonstances différentes, prises même [page 21] séparement, et y apperçoit-on la moindre trace du prétendu corps de délit ; il n’y est parlé ni directement ni indirectement de contrat de mariage : on trouve dans la cassette, selon le recolement, plusieurs paquets uniformes et de même grandeur ; on demande ce que c’est ; Mandex répond que ce sont des lettres de la marine, et on n’en tire aucun de la cassette, cela se fait naturellement en présence de quatre personnes au moins ; il n’y a donc rien dans tout cela qui prouve que le contrat de mariage se soit trouvé dans les papiers du comte d’Hautefort après son décès.

Mais, dit-on, le témoin parle de paquets, il y a lieu de présumer que le contrat de mariage devoit être dans l’un de ces paquets ; s’il étoit permis de s’abandonner ainsi à des présomptions et à des conjonctures, il n’y a rien qui ne pût faire la matiere d’une accusation : quand il s’agit d’un corps de délit, il faut qu’il soit établi d’une maniere si claire et si précise, qu’il ne puisse être révoqué en doute. On trouvera des paquets après la mort d’un homme, donc l’on pourra supposer à son gré que ces paquets renfermoient tout ce que l’on a interêt qui y fût ; qu’elle étrange liberté donne-t’on à un accusateur, si on laisse un champ si libre à ses conjectures ?

D’ailleurs la déposition même qu’il ne faut pas diviser, détruit expressément cette présomption, car il y est dit en propres termes, que Mandex, consulté sur la qualité de ces papiers, avoit répondu que ces paquets contenoient des lettres de la marine ; avoit-il conçu le dessin de supprimer le contrat de mariage de son maître ? Dans ce cas, il est absurde d’imaginer qu’il eut ouvert la cassette en présence d’une servante qui n’étoit pas du complot, surtout quand il avoit eu une demie-heure pour faire son coup avant qu’elle arrivât ; au contraire Mandex n’avoit-il pas même l’idée de soustraire le contrat de mariage ? En ce cas, il parloit donc naturellement et de bonne foi, et par conséquent on ne peut refuser d’ajouter foi à sa réponse. La déposition et le recolement, loin d’établir un corps de délit, et de prouver l’existence du contrat de mariage dans la cassette, excluent donc formellement cette supposition, puisque la cassette étant ouverte de bonne foi sans mistere en présence de plusieurs personnes, on n’y a reconnu que des lettres de marine.

Mais, dit-on, ce qui prouve qu’il y avoit du mysterieux dans ces paquets, est qu’ils n’ont point été inventoriez ; ce fait ne concluroit rien s’il étoit vrai, car tous les jours en faisant un inventaire, les parties interessées conviennent de ne point inventorier certains papiers comme étant absolument inutiles, et il ne faut pas croire qu’après cela on puisse, au gré de son imagination, supposer tout ce que l’on voudra dans ces papiers négligez ; mais dans le fait, l’inventaire contient des commissions de la marine du comte d’Hautefort et autres papiers qui y ont rapport, ce qui est manifestement la même chose que ce que Mandex avoit [page 22] appellé en présence de Françoise Champagne des lettres de la marine.

On a point dit dans l’inventaire que ce fussent des paquets, parce que cette description étoit fort inutile ; il suffisoit de rendre compte des pièces en elles-mêmes, sans qu’il fut nécessaire de décrire la forme dans laquelle elles avoient été trouvées.

Enfin il est inconcevable que la demoiselle de Kerbabu ait osé soutenir que le contrat de mariage pouvoit se trouver dans cette cassette, lorsque Françoise Champagne dit qu’elle fut ouverte en sa présence. Ne se souvient-elle plus de ce qu’elle a écrit, de ce qu’elle a publié par tout, que la cassette du comte d’Hautefort avoit été portée chez Martinon dans le tems que le comte d’Hautefort n’avoit plus de connoissance, que Mandex s’étant saisi des clefs l’avoit ouverte, et en avoit tiré le contrat de mariage et le testament, et que ces pièces avoient été brûlées dans la salle de Martinon ? Ne se souvient-elle plus de la révelation anonime, de cette pièce qui fait trouver chez ce chirurgien les restes d’une envelope presque brûlée dans le tems que le comte de Surville en sortoit ? Par quel prodige ces papiers brûlez le matin, et dont on n’a sauvé par hazard qu’une envelope presque consumée par les flammes, se sont-ils retrouvez l’après-midi chez le comte d’Hautefort ? Ces témoignages divisez ne presentent que des illusions, et contribuent eux-mêmes au triomphe de l’accusé ; réunis, il se combattent et se détruisent mutuellement. Voilà donc à quoi se termine cette accusation si célèbre qui devoit accabler le marquis d’Hautefort par la force des preuves dont elle alloit être soutenue ?

Frappée elle-même de la contradiction qu’il y auroit entre les faits qu’elle a exposez, et les inductions qu’elle voudroit tirer du recolement de Françoise Champagne, la demoiselle de Kerbabu a essayé de mettre plus de concert entre ses preuves, en faisant dire à cette servante dans sa confrontation avec Gasselin, que ça été le matin de la mort du comte d’Hausefort, que Gasselin, Mandex et Soutet ouvrirent la cassette dont elle a parlé. Mais croit-on que ce changement puisse donner une idée bien avantageuse du témoin et de la partie qui le produit ; Françoise Champagne avoit dit dans son recolement, que c’étoit le jour de la mort du comte d’Hautefort après midi, et dans le tems qu’on alloit apposer le scellé ; que Gasselin vint dans la maison, et monta avec Mandex et Soutet dans la chambre de Mandex. Rien n’est plus précis que ce fait ; le témoin ne se contente pas de dire que ce fut l’après-midi ; il ajoute que ce fut dans le tems qu’on alloit apposer le scellé, qui ne le fut que sur les quatre heures du soir : sera-t’il donc permis à ce témoin de détruire dans sa confrontation une époque si bien marquée ? Lui sera-t’il permis de reporter au matin un fait qu’il a placé le soir avec tant de connoissance ?

D’ailleurs, le fait que débite le témoin devient un tissu d’absurditez sin on le place le matin, et ne peut se concilier avec les [page 23] dépositions les plus constantes de l’information de la demoiselle de Kerbabu.

Qui peut concevoir que, Mandex, après la mort du comte d’Hautefort, soit venu dans la matinée même de la rue Culture-Sainte-Catherine dans la maison de la rue de Varenne, qu’il y soit resté une demie heure seul avec Gasselin et Soutet ; qu’ensuite Françoise Champagne étant arrivée, ils soient encore restés dans la même chambre pendant trois quart d’heure, et qu’enfin Mandex ait emporté ou la cassette ou les papiers pour aller rejoindre le marquis d’Hautefort dans la rue Culture-Sainte-Catherine ; le marquis d’Hautefort seroit-il resté prés de trois heures chez Martinon à attendre qu’on lui apportat des papiers pour les brûler ; un domestique qui auroit livrer les papiers de son défunt maître, seroit-il demeuré cinq quarts d’heure ou une heure et demie dans sa chambre pendant qu’on l’attendoit avec impatience ? Ces suppositions ne peuvent entrer dans l’esprit de personne.

Mais comment les concilier avec les faits que la demoiselle de Kerbabu a avancés, et avec les circonstances dont les témoins rendent compte. La demoiselle de Kerbabu dans un de ses memoires imprimez, page 47, dit positivement qu’il est prouvé par les charges, que le comte d’Hautefort, avant sa mort, avoit demandé sa cassette ; que Mandez qui en étoit le dépositaire, avertit de la part de son maître par un autre domestique, eut l’infidelité de ne l’apporter que quand il vit que son maître étoit sans connoissance. La cassette fut donc apportée avant la mort du comte d’Hautefort si on en croit la demoiselle de Kerbabu ; elle fut apportée par Mandex chez Martinon quand son maître n’avoit plus de connoissance, elle fut apportée dans la vue d’en tirer les papiers que l’on vouloit soustraire et de les brûler. Comment donc, après la mort, cette cassette se trouva-t’elle dans la chambre de Mandex rue de Varennes ? Et comment y trouve-t’on des paquets dans lesquels la demoiselle de Kerbabu suppose que devoit être le contrat de mariage ?

Mais pour détruire les fausses inductions qu’elle veut tirer du recolement et de la confrontation de Françoise de Champagne, il faut lui opposer quelque chose de plus pressant encore.

Les témoins qui étoient presens lorsque le comte d’Hautefort mourut ; déposent que le comte de Surville aujourd’hui marquis d’Hautefort, sortit de la maison de Martinon aussitôt qu’on lui apprit la mort de son oncle : Gentil déclare qu’aussitôt le deces de son maître, Mandex s’en fut, et monsieur de Surville aussi. Brunet autre domestique dit de même, que monsieur de Surville se retira environ les neuf heures après que le déposant lui eut dit de s’en aller. Enfin la demoiselle de Kerbabu elle-même dans son memoire imprimé, est convenue que peu de tems après la mort du comte d’Hautefort, son neveu et Mandex sortirent de chez Martinon.

On entreprendroit envain de concilier une verité si publique et si reconnue avec les inductions que la demoiselle de Kerbabu voudroit [page 24] tirer du recolement et de la confrontation de Françoise Champagne. D’un côté, il est constant que le marquis d’Hautefort sortit dans l’instant du décès, et que Mandex le suivit aussitôt ; d’un autre côté, on voudroit faire entendre que Mandex vint après la mort et dans la même matinée dans la rue de Varennes, qu’il resta cinq quarts d’heure dans sa chambre, qu’après cela il retourna dans la rue Culture-Sainte-Catherine, et qu’il y trouva encore le marquis d’Hautefort pour lui livrer les papiers de son oncle, en sorte que le marquis d’Hautefort sorti dans l’instant de la mort, se retrouve encore dans la même maison plus de deux heures et demie après ; l’égarement peut-il être porté plus loin ?

De toutes ces observations, il résulte 1o qu’il n’y a rien dans la déposition, dans le recolement ni dans la confrontation de Françoise Champagne qui puisse établir que le contrat de mariage fût parmi les papiers du comte d’Hautefort lors de son décès, et qu’au contraire, à prendre droit par le recolement qui paroît plus exact et plus circonstancié que tout le reste, il n’y avoit dans la cassette que des lettres de la marine. 2o Que quelque chose que Françoise Champagne eut pu dire, on ne pourroit jamais y ajouter foi après les contradictions dans lesquelles elle est tombée si souvent sur les principales circonstances. Enfin que le changement qu’elle a fait dans sa confrontation, mérite encore moins de confiance que tout le reste, puisqu’il ne peut se concilier ni avec le sistême de la demoiselle de Kerbabu, ni avec les dépositions qui paroissent les plus exactes et les plus sures.

Ainsi le corps du délit s’éloigne et disparoît entierement à mesure que l’on approfondit les pièces et les dépositions dans lesquelles la demoiselle de Kerbabu paroît avoir mis le plus de confiance.

Il en sera de même du second chef sur lequel la demoiselle de Kerbabu insiste, qui est l’enlevement d’un prétendu testament olographe ; on ne trouve encore aucun indice de l’existence de cette pièce, ni dans les tems qui ont précédés la derniere maladie du comte d’Hautefort, ni dans le tems de sa mort.

On ne trouve dans tout le procès qu’un seul écrit qui parle de testament ; c’est un billet daté du 15 decembre 1726 dans lequel il est dit : J’ai fait à Auterive le mémoire de tout ce qui y est ; j’ai dans ma cassette mon testament fait à Auterive. Cet écrit fait partie de ceux dont la demoiselle de Kerbabu a fait faire la vérification. On a déjà remarqué qu’à prendre droit même par le rapport des experts, il n’étoit pas possible de donner à de pareils écrits quelque degré d’autorité en justice ; quand les uns sont convaincus d’avoir été alterez et falsifiez, les autres perdent tout crédit, puisqu’ils partent de la même main, et sont tous rassemblez pour établir un même fait.

Mais quand on les supposeroit aussi sinceres qu’ils sont faux et corrompus, quelle induction pourroit-on tirer d’un billet, qui parle en géneral d’un testament fait à Auterive ? Ce testament étoit-il anterieur ou posterieur à celui du premier avril 1726 qui s’est trouvé lors de l’apposition du scellé ?

[page 25] Enfin quand il auroit fait un testament à Auterive different de celui qu’il avoit fait à Paris le premier avril 1726 n’a-t’il pas été le maître de le supprimer depuis le 15 decembre 1726 pour ne laisser subsister que celui fait à Paris ? Les dispositions des hommes sont toujours chancelantes et révocables jusqu’à leur dernier soupir ; ils peuvent par un deuxième testament révoquer le premier : et par un retour à leur premiere volonté supprimer, brûler, déchirer le second testament, et conserver à l’autre sa premiere autorité. Ce n’est donc pas établir un corps de délit, que de rapporter un acte dans lequel un homme, quelques mois avant sa mort, parle d’un testament qui n’a point paru lors de son décès, parce qu’il n’a point été obligé de perseverer dans cette disposition, et qu’on doit le présumer quand ce testament ne se trouve point à sa mort.

C’est donc principalement en matiere de testament, qu’il faut que l’existence soit prouvée depuis le décès, pour pouvoir établir un corps de délit ; le défunt aura parlé de ce testament dans les termes les plus précis, un mois, 15 jours, si l’on veut, avant sa mort ; mais une heure avant de mourir, il a pu se le faire remettre et le supprimer sans que personne ait droit de s’en plaindre, et par consequent sans que ses héritiers en soient responsables. Le corps du délit ne peut donc jamais être établi suffisamment par un pareil écrit.

A l’égard de la preuve testimoniale, elle n’est pas d’un plus grand secours à la demoiselle de Kerbabu dans cette partie que dans celle du contrat de mariage ; il n’y a pas un témoin qui ait vu ce prétendu testament, ni qui ait ouï dire qu’il ait été vu par d’autres, quoiqu’elle avance hardiment dans sa plainte, que plusieurs personnes l’ont vu et lu depuis le décès du comte d’Hautefort : tous conviennent qu’ils n’en ont jamais eu de connoissance ; il n’y a donc aucune preuve de son existence, au moins dans le tems de son décès, et par conséquent il ne peut jamais y avoir de corps de délit à cet égard.

Mais on peut même ajouter qu’il y a des preuves sensibles au procès, que cette pièce n’a jamais existé ni dans le tems qui a précedé la derniere maladie du comte d’Hautefort, ni dans le tems de son décès. Par rapport aux tems qui ont précedé la maladie du comte d’Hautefort, comment concilier l’idée d’un testament fait à Auterive depuis le prétendu mariage du comte d’Hautefort, avec ce qui est rapporté dans une des lettres qu’on lui attribue ?

On lui fait dire dans la lettre du 7 novembre 1726 Gardez bien avec soin les papiers que je vous ai donné, car si je venois à manquer avant que notre mariage fut déclaré, vous mettriez par là bien à la raison tous les gens qui se pourroient avec grand tort persuader que je ne pouvois pas par notre contrat de mariage vous donner tout mon bien ; les voilà bien éloignez de compte : il résulte manisfestement de ces termes, en supposant la lettre véritable, que le comte d’Hautefort par son contrat de mariage avoit donné tout son bien à la demoiselle de Kerbabu ; ce n’est pas un simple usufruit qui ne seroit que la moindre partie [page 26] de son bien ; c’est tout son bien, c’est-à-dire le fond et le revenu, et il est donné par un contrat de mariage, c’est-à-dire par un acte irrévocable, par le plus solemnel et par le plus respectable de tous les titres, par un acte susceptible de toute sorte de dispositions.

Cependant après que le comte d’Hautefort avoit tout donné à la demoiselle de Kerbabu par un contrat de mariage du 17 septembre 1726 suivi d’une célebration du 19 du même mois, on vient nous dire que le 22 de ce même mois le comte d’Hautefort a fait un testament en sa faveur ; peut-on pousser plus loin la contradiction et l’absurdité ?

La demoiselle de Kerbabu se plaint en même tems de ce qu’on lui a enlevé un contrat de mariage et un testament. Pour établir ce double crime, elle rapporte deux écrits, tous deux, selon elle, de la main du comte d’Hautefort, l’un qui parle du contrat de mariage, et l’autre du testament ; mais peu attentive à concilier les differentes parties de son sistême, elle ne voit pas qu’un de ces écrits se détruit nécessairement par l’autre : s’il y a eu un contrat de mariage par lequel le comte d’Hautefort lui ait donné tout son bien, il est absurde d’imaginer que sept jours après il ait fait un testament en sa faveur ; si au contraire il a fait un testament dans lequel il dispose à son profit, il est absurde d’imaginer que sept jours auparavant, il lui eut donné tout ce qui étoit à sa disposition, et par conséquent elle en impose au moins dans un des chefs de son accusation.

Par la même, se fortifient les preuves de fausseté des écrits qu’on nous represente ; le comte d’Hautefort a-t-il écrit le 7 novembre 1726 à la demoiselle de Kerbabu qu’il lui avoit donné tout son bien par son contrat de mariage ? En ce cas, il ne lui aura pas mandé le 15 decembre suivant, qu’il gardoit prétieusement un testament fait en sa faveur, et par conséquent le billet du 15 decembre doit être faux ; au contraire, a-t-il écrit ce billet ? La lettre du 7 novembre ne peut être véritable, et par consequent, il faut qu’il y ait de l’imposture dans le fait de la demoiselle de Kerbabu ; et si les deux pieces ne sont pas également fausses, il est impossible qu’il n’y en ait pas au moins une des deux qui soit supposée.

Si cette réflexion nous fournit un argument invincible pour prouver qu’il n’y a jamais eu de testament en faveur de la demoiselle de Kerbabu, les dépositions de ses témoins vont encore mettre cette verité dans un plus grand jour.

Le marquis d’Hautefort ayant été confronté avec le nommé Gentil qui étoit un des domestiques du comte d’Hautefort, et qui ne l’a point quitté pendant sa maladie, l’a interpellé de déclarer, si le feu comte d’Hautefort étant malade chez Martinon chirurgien de la maladie dont il est décedé, ne dit pas au nommé Paillet chirurgien de monsieur le comte de Toulouse de dire à lui accusé d’avoir soin de ses gens, et qu’il les lui recommandoit. Gentil a répondu, que le contenu en l’interpellation étoit véritable, et qu’il [page 27] avoit entendu le feu comte d’Hautefort le dire ainsi audit Paillet : la même interpellation a été faite au nommé Bourguignon, qui a répondu qu’il n’étoit pas present quand le comte d’Hautefort tînt ce discours, mais qu’il avoit ouï dire à Gentil que le fait étoit vrai.

Le comte d’Hautefort mourant a donc recommandé à son neveu d’avoir soin de ses domestiques, ce fait est bien établi ; et par une conséquence nécessaire, il falloit que ce neveu fût l’heritier ou le légataire universel du comte d’Hautefort : car de supposer qu’il laissât tout son bien à la demoiselle de Kerbabu, et qu’il chargeât son neveu de recompenser ses domestiques, c’est une absurdité qu’il n’est pas possible de concevoir ; mais si le marquis d’Hautefort étoit légataire universel de son oncle, il n’avoit donc point fait d’autre testament que celui du premier avril 1726, et par conséquent dans l’accusation de suppression de testament, le corps de délit est manifestement supposé.

Mais ce fait important dont les deux domestiques déposent, va bien plus loin, et il renverse d’un seul trait toutes les suppositions de la demoiselle de Kerbabu. Elle a été mariée, dit-elle, et par son contrat de mariage le comte d’Hautefort lui avoit donné tout son bien ; sept jour après, il avoit encore fait un testament en sa faveur ; ces deux actes, le contrat de mariage et le testament, sont rappellés dans differens écrits du comte d’Hautefort : cependant ils ne paroissent pas ; il faut donc qu’ils ayent été supprimés. Voilà le fondement de ses plaintes : mais tout n’est-il pas supposé, et le contrat de mariage, et le testament, et les écrits qui les rappellent, puisque le comte d’Hautefort dangereusement malade, ne jette les yeux que sur le comte de Surville son neveu ; puisque le regardant comme celui qui devoit recueillir tous ses biens en vertu du testament du premier avril 1726, il le charge d’avoir soin des domestiques ? A la vue d’une pareille recommandation, il faut que tous les prétendus délits disparoissent, et qu’il ne reste de coupable que l’accusatrice. Plus de contrat de mariage qui fasse passer à la demoiselle de Kerbabu tous les biens du comte d’Hautefort ; plus de lettre par laquelle il s’applaudisse indignement de la surprise et du chagrin qu’il va causer à sa famille ; plus de testament qui révoque celui du premier avril 1726 tout est supposé dans les faits et dans les pièces de la demoiselle de Kerbabu : c’est le comte d’Hautefort mourant, qui nous en administre une preuve qui ne eut être suspecte.

Tout est donc supposé dans cette accusation ; tout y ressent l’imposture et la calomnie ; en un mot, il n’y a pas même de corps de délit.

SECONDE PROPOSITION.

S’il y avoit un corps de délit, on ne pourroit l’imputer au marquis d’Hautefort.

La conduite que le marquis d’Hautefort a tenue dans les tems qui ont précedés et suivis la mort du comte d’Hautefort, a été si publique, qu’il seroit impossible de faire tomber sur lui le plus leger soupçon, si on étoit dans le cas de rechercher ici un coupable.

[page 28] Plein de tendresse pour un oncle qu’il avoit toujours regardé comme son père, il s’empressa de se rendre auprès de lui, lorsqu’il apprit l’état funeste auquel il étoit réduit, et le danger qu’il y avoit pour sa vie : il fût toujours en presence des nommés Gentil, Bourguignon, Brunet et Mandex, domestiques du comte d’Hautefort, qui l’assistoient dans ses derniers momens : il resta auprès du lit de son oncle tant qu’il conserva quelque leger rayon d’esperance ; mais quand on n’attendoit plus que le dernier soupir, il passa dans l’antichambre, où après avoir été seul quelques momens, Brunet vint lui apprendre qu’il devoit se retirer à l’hôtel de Pompadour ; ce qu’il fit aussi-tôt.

Il y passa plusieurs jours dans l’accablement de la plus vive douleur, ignorant les mesures que l’on prenoit dans la famille, et qui conviennent dans ces occasions : cependant le marquis d’Hautefort son oncle, qui était le principal heritier du comte d’Hautefort, avoit fait apposer le scellé à sa requête ; il paroît qu’on ne perdit pas de tems pour mettre tous les effets et tous les papiers en sûreté. Le comte d’Hautefort étoit mort entre neuf et dix heures du matin, dans la rue Culture-Sainte-Catherine : il fallut apprendre cette nouvelle au marquis d’Hautefort, qui demeuroit à une autre extrémité de Paris ; faire dresser une procuration pour l’apposition du scellé chez maître Dulion notaire, rue Dauphine, et la porter chez le sieur marquis d’Hautefort pour la signer ; enfin, il fallut aller trouver le commissaire Parent, qui se transporta dans la rue de Varenne, et apposa le scellé sur les trois ou quatre heures de l’après midi : tant de courses et de mouvemens dans des quartiers si éloignés, ne pouvoient pas être plus précipités. Quand il y auroit eu plus de lenteur, on n’auroit pas pu s’en prendre au comte de Surville, qui n’avoit point d’ordre à donner ; mais avec quelque empressement que l’on eût agi, il auroit été impossible d’aller plus vite.

Le scellé ayant été apposé, le comte de Surville qui se trouvoit légataire universel par le testament trouvé dans une commode de l’appartement du comte d’Hautefort, ne se pressa point de le faire lever : il falloit appeler un grand nombre d’heritiers, dont plusieurs étoient éloignés de Paris : on lui apporta seulement plusieurs lettres arrivées pendant la maladie et depuis la mort du comte d’Hautefort ; comme on sçaivoit qu’il étoit nommé pour commander les vaisseaux que l’on armoit à Brest et à Toulon, il est aisé de juger de combien de lettres il étoit accablé tous les jours. On les apporta donc au marquis d’Hautefort, à l’hôtel de Pompadour, trois ou quatre jours après la mort ; il distingua celles qui avoient rapport aux affaires de la marine de plusieurs autres, qui venant de femmes ou de personnes qui n’avoient aucune part au service, lui parurent indifferentes : il remit les premieres au ministre et brûla les autres.

Dans la suite, l’inventaire a été fait dans les formes les plus exactes et les plus scrupuleuses, en presence de plusieurs heritiers et d’un substitut du procureur du roy pour les absens, et le marquis d’Hautefort est entré en possession paisible des biens de son oncle.

Après une conduite si innocente et si publique, qui auroit pu prévoir [page 29] que le marquis d’Hautefort fût impliqué dans une accusation de divertissement et de suppression des papiers du comte d’Hautefort.

Aussi n’y a-t’il pas un seul témoin qui forme contre lui la plus legere conjecture : plusieurs rendent compte de sa conduite telle qu’on la vient d’expliquer ; ils reconnoissent que dans l’instant de la mort, il sortit de chez Martinon et se retira à l’hôtel de Pompadour ; qu’il n’entra pas même dans la maison rue de Varenne, et qu’il n’eut aucune part à ce qui se passa pendant toute la journée ; qu’on ne lui a vu ni prendre, ni tenir aucuns papiers, et encore moins les emporter, les brûler ou les supprimer : il n’y en a pas même un seul qui dise que Mandex, depuis qu’il eut été dans la rue de Varenne, soit venu trouver le marquis d’Hautefort, et ce n’est en effet que trois ou quatre jours après que Mandex lui remit les lettres dont on vient de parler. Il n’y a donc pas le plus leger indice contre le marquis d’Hautefort.

C’est ce défaut de preuve qui réduisit la demoiselle de Kerbabu à fabriquer cette révelation anonime dont on a déjà parlé ; mais, on ne craint point de le dire ; une pareille pièce fait plus contre la demoiselle de Kerbabu, qu’elle ne nuit au marquis d’Hautefort. Il faut que l’innocence de l’accusé soit bien respectée par tous les témoins ; quand l’accusatrice est réduite à de telles manœuvres pour soutenir ses impostures. Quoi ? Presenter à la justice un témoin invisible, ou plutôt se donner soi-même pour témoin, quand on n’en peut trouver aucun qui veuille se porter à de telles iniquitez. N’est-ce pas fournir à l’accusé la preuve la plus authentique de la pureté de sa conduite ? Ce silence de tous les témoins, qui n’est interrompu que par la voix d’un phantôme que l’on substitue à la réalité qui manque, doit porter la conviction dans tous les esprits, et faire éclater l’innocence d’un accusé que l’on a cherché à décrier par les calomnies les plus odieuses ; mais ce n’est point assez d’avoir établi qu’il n’y a point de preuve du crime qu’on lui impute, il faut encore démontrer qu’il n’a pas pu même penser à le commettre.

Pour cela, il suffit d’observer que suivant la demoiselle de Kerbabu elle-même, son prétendu mariage avoit été fait d’une maniere si secrette, qu’il étoit ignoré de tout le monde : le comte d’Hautefort, selon elle, ne vouloit pas le rendre public qu’il n’en eût parlé au roi et à monsieur l’amiral ; c’est pour cela qu’elle s’étoit retirée au château de Saint Quentin avec la dame sa mère, où elle continuoit de passer pour fille ; c’est pour cela que les lettres qu’elle prétend avoir reçues depuis du comte d’Hautefort, sont toutes adressées à mademoiselle de Kerbabu au château de Saint Quentin. Ce prétendu mariage étoit donc envelopé dans un mistere impénetrable : tous les domestiques du comte d’Hautefort, c’est-à-dire ceux qui étoient plus à portée de pénétrer dans ses secrets, reconnoissent dans leur dépositions qu’ils n’en avoient aucune connoissance : enfin, le comte d’Hautefort malade dangereusement, et prêt à mourir, ne s’en est ouvert ni au comte de Surville, aujourd’hui marquis d’Hautefort, ni à aucun parent, ni à aucun ami, ni à aucun domestique ; le secret a tellement été gardé, que même après sa mort, et [page 30] lorsque la demoiselle de Kerbabu a commencé à donner quelque signe de vie, elle a encore déclaré qu’il n’y avoit point de mariage : toutes ces circonstances sont certaines et adoptées par elle-même.

Mais on le demande à toute personne sensée ; comment imaginer que dans cet état le marquis d’Hautefort ait pu seulement penser à détourner les pièces qui pouvoient servir de preuves à l’état de la demoiselle de Kerbabu ?

Un homme âgé de plus de soixante ans, et qui pendant tous le cours de sa vie n’a jamais paru avoir aucune pensée de mariage, meurt entouré seulement de quelques domestiques : va-t’on imaginer qu’il se trouvera dans sa cassette un contrat de mariage ? Va-t’on former le projet de le soustraire ? Pour imputer de tels crimes à un accusé, il faut au moins qu’il y ait quelque vraisemblance que l’on ait pu former le dessin de les commettre ; mais c’est ce qui est impossible dans les circonstances où l’on ne peut s’empêcher de placer le marquis d’Hautefort au moment de la mort de son oncle.

D’ailleurs, a-t’on jamais entendu parler qu’on se porte à soustraire la grosse d’un contrat de mariage, quand il y a une minute à laquelle la veuve peut recourir ? Presume-t’on qu’un notaire soit assez prévaricateur pour la livrer ? Et sur une esperance aussi chimerique, commencera-t on par commettre un crime sans objet ? Du moins en ce cas faudroit-il avec empressement courir chez le notaire, et lui faire livrer sa minute : cependant la demoiselle de Kerbabu suppose au contraire, qu’au mois de juin suivant ce notaire a reconnu encore avoir la minute, et elle prétend même qu’elle est restée entre ses mains jusqu’au mois de septembre, c’est à-dire huit mois ou environ après la mort du comte d’Hautefort ; encore que si au mois de juin, et pendant qu’elle étoit chez Ains notaire, elle l’eût engagé à lui donner une nouvelle expédition, soit par autorité, soit dans un esprit de justice ; le marquis d’Hautefort auroit commis gratuitement un crime, dont il ne recueilleroit que l’infamie et la confusion. Peut-on admettre une accusation qui suppose nécessairement tant d’absurditez ?

Enfin, on ne peut s’empêcher d’ajouter que la succession du comte d’Hautefort étoit si modique que pour conserver les parts qui pouvoient revenir au marquis d’Hautefort, on ne peut pas se persuader que personne au monde eût été capable de commettre une action si basse et si honteuse. Quand même le marquis d’Hautefort auroit sçû qu’il étoit nommé légataire universel par un premier testament, pouvoit-il se porter à soustraire des pièces pour conserver cinq ou six mille livres de rente, chargées de legs pieux et de récompenses laissées à ses domestiques ; car l’universalité de la succession ne pouvoit pas lui appartenir en vertu du legs universel ; il en falloit distraire les deux tiers de la terre d’Auterive, qui n’étoient point disponibles, et sur le surplus, il falloit acquitter tous les legs ? C’étoit un interêt si modique, que l’on ne eut jamais le regarder comme un objet capable de porter à un tel crime.

La vraisemblance manque donc de toutes parts : si le crime n’est [page 31] point établi ; s’il n’y a aucune charge contre l’accusé, on peut dire que tout révolte, même contre la seule pensée que l’on pourroit en attribuer au marquis d’Hautefort.

REPONSES AUX OBJECTIONS.

On en a déjà détruit plusieurs, en établissant la défense de l’accusé ; on se propose donc seulement de parcourir ici celles qui auroient pu échapper dans le corps de la défense.

La demoiselle de Kerbabu presente par tout le fait de son mariage comme une circonstance propre à soutenir les efforts qu’elle fait pour accabler le marquis d’Hautefort ; elle éleve l’autorité de son acte de celebration, delivré, dit elle, par un officier public qui le conserve dans un dépôt précieux ; si elle a écrit le contraire, tantôt c’est une faute dans laquelle elle a été entraînée par de mauvais conseils, et tantôt c’étoit une précaution necessaire pour déguiser sa marche.

Au surplus les lettres du comte d’Hautefort, en assurant le fait du mariage, conduisent encore plus directement au délit dont elle a rendu plainte ; elles prouvent que le comte d’Hautefort avoit dans sa cassette les pieces qu’elle demande, elles ne se sont point trouvées ; la preuve est acquise par ces titres seuls, s’il y avoit preuve qu’un homme eût reçu 50 000 livres et que depuis un voleur eût forcé le cabinet dans lequel cette somme étoit gardée, il seroit présumé l’avoir prise, et seroit condamné à la rendre, c’est ici la même chose, parce qu’il y a preuve que la cassette a été ouverte par Mandex ; d’ailleurs le marquis d’Hautefort est convenu, que Mandex depuis la mort lui avoit remis une grande quantité de lettres qu’il a brûlées ; il y a bien plus d’aparence, que c’étoient les pieces qu’elle reclame, d’autant plus que sur ce fait, le marquis d’Hautefort et Mandex tombent dans des contradictions sensibles.

Enfin c’est ici une matiere dans laquelle on ne peut exiger une preuve complette ; il s’agit d’un crime occulte, et dans une pareille matiere les preuves que l’on raporte sont plus que suffisantes.

Il faut d’abord retrancher de ces objections le fait du mariage ; quand on pourroit ajouter foi à tout ce que la demoiselle de Kerbabu debite sur ce sujet, elle n’auroit encore rien fait qui pût donner le plus leger pretexte à son accusation.

La demoiselle de Kerbabu peut avoir été mariée, et qu’il n’y ait jamais eu de contrat de mariage, elle peut avoir été mariée, et que le comte d’Hautefort ne se soit jamais fait délivrer la grosse de son contrat, qu’il ne l’ait jamais eu en sa possession, que du moins elle ne fut point parmi ses papiers lors de son decès, et que le marquis d’Hautefort ne l’ait point détourné.

Il est donc inutile d’entrer, quant à present, dans la question de sçavoir si la demoiselle de Kerbabu a été mariée ; quand il en sera tems, on fera voir sans peine qu’elle n’a point de titre, ou qu’il est manifestement faux. On parle d’un prétendu acte de celebration de mariage dont on raporte une expedition delivrée par le greffier de Laval ; mais la circonstance [page 32] seule dans laquelle ce prétendu acte de celebration de mariage a été trouvé, suffiroit pour en faire connoître la fausseté ; la demoiselle de Kerbabu avoit fait un premier voyage au mois de juin, exprès pour l’aller chercher, et elle étoit revenue à Saint Quentin sans aucun succès ; elle retourne au mois de septembre, et tout d’un coup elle le trouve, selon elle, dans un dépôt public ; un premier voyage si infructueux, ne doit-il pas jetter de grands soupçons sur les avantages inesperés que le second a produit.

Il suffit que du propre aveu de ce greffier, la piece ne fasse point partie de son registre pour qu’il n’ait pas dû en délivrer une expedition ; le greffier de la justice royale, dépositaire d’une copie du registre de la paroisse, n’a de caractere que pour délivrer des extraits ou des expeditions des actes qui sont dans son registre, lorsqu’il trouve des pieces étrangeres à ce registre ; si il en donne des copies, ce n’est plus que comme un particulier sans caractere qu’il agit : d’autant plus que son registre devant être conforme à celui de la paroisse, il ne peut délivrer l’expedition d’aucun acte qui ne soit dans le registre de la paroisse.

L’expedition qui est au procès n’est donc point une piece revêtue d’aucun caractere d’autorité publique ; et quand on fera paroître le prétendu original, il ne sera pas difficile de faire voir qu’il n’est qu’un ouvrage d’iniquité, que jamais il n’y a eu de mariage entre le comte d’Hautefort et la demoiselle de Kerbabu ; que le jour que l’on prétend qu’il a été célebré, le curé d’Argentré ne vint point au château d’Auterive, que le comte d’Hautefort fut en compagnie pendant toute la journée, sans qu’il y ait eu un seul instant dans lequel il se soit échappé pour aller recevoir la bénediction nuptiale ; qu’aucun de ses parens, de ses amis, de ses domestiques n’en a eu connoissance ; c’est la demoiselle de Kerbabu qui, après l’avoir désavoué par des lettres si précises, a glissé ou fait glisser dans le registre qui est au greffe de la justice royale la feuille volante sur laquelle se trouve ce prétendu acte de célebration de mariage. En un mot, on établira sans peine par tous les genres de preuves que la loy autorise, que c’est une piece fausse ; mais, quant à present, ces réflexions sont prématurées : il ne s’agit point du mariage de la demoiselle de Kerbabu, et quand cet engagement seroit aussi réel qu’il est supposé, l’accusation n’en seroit pas moins une calomnies, puisqu’il n’y a aucune preuve que jamais le prétendu contrat de mariage ait existé, moins encore qu’il fut parmi les papiers du comte d’Hautefort lors de son décès.

Mais, dit-on, les lettres et autres actes écrits par le comte d’Hautefort, prouvent qu’il avoit cette piece le 15 decembre 1726 ne s’étant point trouvée à sa mort, on doit résumer qu’elle a été divertie, comme on présumeroit qu’un voleur qui a forcé un cabinet, y a pris 50 000 livres s’il y avoit preuve que cette somme y étoit six semaines auparavant ; qui ne seroit également surpris et indigné d’une pareille comparaison ?

Premierement si un homme avoit forcé un cabinet, il seroit coupable par cette circonstance seule, indépendemment ce qu’il auroit [page 33] pu prendre, ou ne pas prendre dans ce cabinet ; et quand un homme est une fois convaincu d’un crime pour lequel seul il mérite punition, il est facilement présumé coupable d’un autre.

Secondement, dans le cas même, il n’est pas vrai, comme on le suppose, que celui qui auroit forcé un cabinet fut responsable de droit d’une somme en argent qui auroit été mise dans ce cabinet six semaines auparavant ; on ose dire même que la prétention seroit absurde, à moins qu’elle ne fut soutenue de beaucoup d’autres preuves, parce qu’en six semaines de tems, le proprietaire des deniers a pu en faire usage, en payer des dettes, les jouer, les dissiper ; il ne seroit donc pas juste d’en rendre responsable celui qui auroit eu la temerité de forcer un asyle domestique ?

Mais laissont à la demoiselle de Kerbabu ses illusions et les faux principes qu’elle débite ; comment pourroit-elle faire l’application à l’espece presente ? On suppose les écrits representez au-dessus de tout soupçon et de toute critique ; on suppose que le contrat de mariage fût dans la cassette du comte d’Hautefort le 15 decembre 1726. Comment pourroit-on imaginer un corps de délit, et le faire tomber sur le marquis d’Hautefort ; ni même sur aucun des accusez ?

Premierement, on n’a forcé ni cabinet, ni armoire, ni cassette, et par conséquent, il n’y a point ici de violence qui puisse donner lieu à quelques soupçons ; un domestique à qui les clefs de son maître avoient été remises après sa mort, a ouvert en presence de trois ou quatre personnes sans mistere, sans précaution, la cassette de son maître, pour y prendre l’argent necessaire pour les dépenses pressantes dans ces occassions, ou si l’on veut, pour voir s’il y en avoit et en quelles especes. Y-a-t’il là quelque crime ? Cela se fait publiquement, et dans des circonstances où l’on ne pouvoit se conduire autrement.

Secondement, celle qui dépose de ce fait, convient expressément que l’on n’y a pris aucuns papiers.

Troisièmement, loin de dire que le contrat de mariage s’y soit trouvé, elle dit elle-même, que les paquets qui y étoient furent reconnus par ce domestiques pour être des lettres de la marine.

Enfin, le contrat de mariage que l’on suppose dans la cassette six semaines auparavant, auroit bien pu en avoir été tiré par le comte d’Hautefort lui-même ; et si l’on ajoutoit foi à tous les ecrits representez, le comte d’Hautefort l’avoit envoyé à la demoiselle de Kerbabu à Saint Quentin sous une envelope, dont elle a fait remettre au greffe des fragmens par un anonime.

Quelle paralelle entre les deux especes ! Si dans celle que la demoiselle de Kerbabu à imaginé, elle disoit, qu’un domestique, qu’un homme de confiance est entré dans un cabinet dont on lui avoit confié la clef, qu’il y est entré en presence de trois ou quatre personnes, publiquement et sans mistere, et que ceux qui en déposent ne lui ont vu prendre aucun argent ; auroit-elle osé imaginer que par une démarche si innocente, ce particulier fût obligé de re- [page 34] pondre d’une somme de 50 000 livres qui auroit été mise dans ce cabinet six semaines auparavant ? Elle rougiroit elle-même d’une pareille proposition ; comment la peut-elle faire, par rapport au contrat de mariage dont il s’agit, puisque nous sommes encore dans des circonstances plus favorables ? Que Mandex ait apporté après cela des lettres adressées au feu comte d’Hautefort, qu’il les ait remises au marquis d’Hautefort à l’hôtel de Pompadour, et que celui-ci après avoir distingué celles qui pouvoient être de quelque consequence, et les avoir mises à part ait brûlé les autres ; ce sont des circonstances si indifferentes, qu’il n’y a qu’une accusation aussi destituée de pretextes que celle de la demoiselle de Kerbabu dans laquelle on puisse les relever, et entreprendre d’en tirer quelques inductions. Rien n’est plus commun que de remettre à l’heritier des lettres qui arrivent journellement pendant la maladie et après la mort d’un homme, et quel usage cet heritier en peut-il faire que de brûler celles qui paroissent inutiles, et de reserver les autres ?

La prétendue contradiction que l’on releve entre ce que le marquis d’Hautefort et Mandex ont dit à cet égard, ne roule que sur une équivoque. Mandex a parlé des lettres qui lui avoient été remises par Bourguignon et Gentil chez Martinon, et qui y avoient été portées dans les derniers jours de la maladie ; il dit qu’elles étoient en rouleau, et qu’il pouvoit y en avoir quarante ou environ. On juge facilement que Mandex dans ce discours ne s’est pas piqué d’une grande précision ; il convient qu’il n’a ni compté les lettres, ni exminé avec beaucoup d’attention le rouleau qui lui fut remis ; il en parle donc au hazard ; quoiqu’il en soit, il ne parle que de celles qui lui furent remises chez Martinon ; il les porta à l’hôtel du comte d’Hautefort, rue de Varenne, où il en arrivoit journellement, comme il est aisé de l’imaginer, puisque le comte d’Hautefort étoit à la veille de prendre le commandement d’une escadre considerable ; et ce ne fut que trois ou quatre jours après la mort du comte d’Hautefort, qu’il remit toutes ces lettres au comte de Surville ; en sorte que ces lettres remises à l’heritier trois ou quatre jours après la mort, devoient être en bien plus grand nombre que celles que Mandex avoit reçues chez Martinon le jour même du décès. Il ne faut donc pas être surpris si le marquis d’Hautefort dans son interrogatoire a dit, qu’on lui avoit remis une quantité prodigieuse de lettres, et qu’il pouvoit y en avoir de quoi remplir un boisseau : la demoiselle de Kerbabu trouve une grande difference entre quarante lettres et environ dont parle Mandex, et une quantité prodigieuse de lettres dont parle le marquis d’Hautefost ; mais outre qu’il seroit injuste d’exiger une grande précision sur des faits si legers, si indifferens, et dont on ne parle que plus de trois ans après qu’ils sont arrivez, c’est qu’il est évident que le marquis d’Hautefort et Mandex ont parlé de lettres par rapport à deux époques differentes ; Mandex ne parlant que de celles qui lui ont été remises chez Martinon le jour de la mort, et le marquis d’Hautefort [page 35] parlant de celles qui lui ont été apportées à l’hôtel de Pompadour trois ou quatre jours après.

C’est donc reconnoître que l’on n’a ni preuves ni indices propres à soutenir l’accusation, que de recourir à de pareilles équivoques ; aussi la demoiselle de Kerbabu n’en fait-elle pas beaucoup de misteres ; quand elle est réduite à dire, qu’il s’agit ici d’un crime occulte, dont il n’est pas aisé de trouver des preuves. Mais quelle consequences prétend-elle tirer de la qualité du crime qu’elle defere, et des tenebres dans lesquelles elle suppose qu’il est enveloppé. Prétend-elle qu’on pourra feindre un crime caché, obscur, impenetrable, le dénoncer à la face de l’univers pour exciter son indignation ; faire retenir tous les tribunaux de ses plaintes, répandre partout ses calomnies, annoncer des preuves accablantes, et multiplier les menaces avec une confiance outrée, et qu’on en sera quitte après cela pour reconoître qu’on n’en peut pas avoir des preuves, parce que c’est un crime occulte ? Qui pourroit admettre une maxime si funeste à la societé ? L’honneur des citoyens les plus purs ne seroit jamais en sûreté ; il ne faudroit avoir qu’un ennemi temeraire et audacieux pour être perdu de réputation, quelque déplorable que fut son accusation.

Le crime en general se commet ordinairement dans les tenebres ; faudra-t-il pour cela le supposer, sans preuve et sans indices ? Mais s’il y en a de plus occultes les uns que les autres, c’est à cause de cela même qu’il faut être le plus reservé à en rendre plainte ; il ne faut pas croire qu’après l’avoir dénoncé solemnellement à la justice, on en sera quitte pour avouer ingenument l’impuissance où l’on est de l’établir.

Enfin si il s’agit d’un crime occulte dont la preuve soit si difficile que la demoiselle de Kerbabu croit pouvoir être excusée de n’en rapporter aucune ; pourquoi donc a-t’elle annoncé depuis si longtems des preuves, sous le poids desquelles le marquis d’Hautefort alloit être accablé ? Quand on lui reprochoit d’abord qu’elle n’en avoit aucune de tous les crimes qu’elle supposoit, vous m’avez arrêté au commencement de ma course, disoit-elle ; qu’on me rende ma premiere liberté, et l’on verra la preuve portée jusqu’au dernier degré d’évidence. Cette liberté tant demandée a été obtenue, et n’a rien produit, au contraire les informations ont pleinement justifié l’accusé ; la demoiselle de Kerbabu ne sera-t’elle quitte pour dire aujourd’hui qu’il s’agit d’un crime occulte dont la preuve est impossible ? Falloit-il donc entretenir la justice et le public de tant d’esperances pour reconnoître enfin qu’on ne peut répondre à de si magnifiques promesses ? Non sans doute, et la réparation qui est due au marquis d’Hautefort, doit être aussi éclatante que l’insulte qu’il a reçue.

Toute la France a retenti des déclamations et des emportemens de la demoiselle de Kerbabu contre le marquis d’Hautefort ; on lui a imputé des crimes énormes ; non-seulement il avoit soustrait un testament et un contrat de mariage qui étoient dans les papiers [page 36] du comte d’Hautefort son oncle, mais il avoit fait lacerer deux feuillets du registre des mariages de la paroisse d’Argentré ; il avoit enlevé une minute chez un notaire, alteré et falsifié le registre du contrôle, tenté la fidelité du greffier de Laval pour livrer un original prétieux ; voilà ses crimes, suivant la demoiselle de Kerbabu ; crimes que l’effusion de tout son sang n’auroit pas pu laver, et qui auroient fait l’opprobre éternel de sa maison, si il avoit été capable de les commettre.

Ce n’étoient pas de simples soupçons que la demoiselle de Kerbabu avoient formé, et qu’elle croioit pouvoir répandre ; elle ne promettoit pas moins que de l’accabler sous le poids des preuves dont elle étoit assûrée ; une foule de témoins alloit réveler des mysteres qui seroient horreur ; il n’y avoit qu’à leur ouvrir le sanctuaire de la justice, et ils alloient mettre ces crimes dans tout leur jour. C’est ainsi que la demoiselle de Kerbabu a préparé les esprits aux plus cruels et aux plus sinistres évenemens : l’ennemi du marquis d’Hautefort triomphoit, le peuple étoit ébranlé par une confiance si présomptueuse, et l’ami du marquis d’Hautefort, persuadé de son innocence, n’étois pas même sans inquietude sur le sort d’un homme si cruellement déchiré.

Tel est le spectacle que presente les premieres démarches de la demoiselle de Kerbabu ; mais que se trouve-t-il dans l’évenement, et à quoy ont abouti des déclamations si outrées, et des menaces si violentes.

On n’a pas pu trouver dans les preuves litterales et testimoniales réunies une ombre, une apparence même de corps de délit ; les principaux chefs d’accusation ont été abandonnés, on n’a plus entendu parler ni de minute enlevée chez le notaire, ni d’alteration du registre du controlle, ni de laceration de quelques feuillets du registre de la paroisse ; tous des objets si interessans ont disparu, et par rapport à la suppression de la grosse du contrat de mariage et du testament à laquelle seule on s’est réduit, on n’a pas pu même établir que ces pieces ayent jamais existé.

Point de preuve d’existence dans les temps qui ont précedé la maladie du comte d’Hautefort ; on ne se fonde que sur quelques ecrits dont plusieurs se trouvent falsifiés et alterés du propre aveu des experts, et que ne presenteroient tout au plus que l’idée d’un projet informe, sans aucun caractere d’authenticité. Ecrits qui sont combattus par des preuves contraires si pressantes et si solides, qu’il est impossible qu’ils puissent même les balancer. Point de preuves de l’existence au temps du deceds, puisqu’elle ne peut jamais se trouver dans les ecrits qui précedent la mort de près de deux mois, et que même en prenant droit par les actes sur lesquels la demoiselle de Kerbabu se fonde, on seroit obligé de reconnoître que les pieces qu’elle demande, si elles avoient jamais existé, lui auroient été envoyées avant la derniere maladie du comte d’Hautefort. Ainsi loin d’établir le crime qu’elle impute au marquis d’Hautefort, les ecrits de la demoiselle de Kerbabu ne prouveroient que l’excès de son imposture, [page 37] en se plaignant de l’enlevement de pieces qu’elle auroit en sa possession. Enfin quand on pourroit supposer d’un corps de délit, il seroit absurde, comme on l’a déjà fait voir, de l’imputer au marquis d’Hautefort ; sa conduite au moment de la mort a été publique, elle est irréprehensible ; triste spectateur d’une mort qui étoit pour lui le plus funeste de tous les évenemens ; il est venu dans l’instant même s’enfermer dans l’hôtel de Pompadour, abîmé dans son chagrin et dans sa douleur, indifferent à tout ce qui pouvoit avoir rapport à la succession du comte d’Hautefort qu’il regardoit comme le plus cruel present que le ciel put lui faire.

Dans ce contraste où l’on voit d’un côté les crimes les plus énormes dénoncés à la justice ; et de l’autre, toutes les preuves se réunir pour le triomphe de l’accusé. Pourroit on se refuser à une juste indignation contre celle qui a osé imaginer des faits si chimeriques et si odieux, et qui n’a pas craint de déchirer par les ecrits les plus emportés un homme dont l’innocence lui étoit parfaitement connues.

Y a-t’il après cela une réparation proportionnée à une pareille injure ; si l’on en médite avec attention toutes les circonstances ; il n’y a personne qui ne doive être également touché et des malheurs du marquis d’Hautefort indignement persecuté, et des excès de la demoiselle de Kerbabu qui ne respecte ni la verité ni l’innocence.

 

Maître Cochin, avocat.

 

Le Bouc, procureur.