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Noblesses de Bretagne

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Jean Kerhervé

Grands seigneurs de cour et gentilshommes provinciaux en Bretagne entre 1550 et 1650

Antoine Pacault

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Géographique :

France

Texte intégral

  • 1 N.B. Nombre des citations insérées dans le texte sont tirées de la correspondance reçue de Bretagn (...)

1Au xvie siècle, dans la noblesse, le service du roi s'imposait. Il était normalement le seul qui apportât de l'honneur, et donc qui fut envisageable. Et le sens de ce service pouvait être très fort : ce fut en apprenant la mort de Charles IX que Tanneguy de Rosmadec sire de Molac mourut à Rennes en 15741 Mais le roi était loin, ses charges peu nombreuses et guettées par beaucoup. Chercher à le servir demandait de passer par ces intermédiaires de son entourage qu'étaient les Grands, qui seuls, pouvaient vous faire connaître de lui, ou vous obtenir telle charge, telle pension, ou telle autre faveur, et qui d'ailleurs eux-mêmes, dans le service qu'ils lui rendaient, avaient besoin de nombreuses personnes, en leurs compagnies, en leurs maisons, dans les justices ou dans l'administration de leurs terres. Et ces emplois-là aussi étaient honorables. Des relations existaient donc a l'intérieur de la noblesse, qui unissaient les grands seigneurs les plus puissants aux gentilshommes d'un rang inférieur. Les uns offraient leur service, et les autres, en échange, leur appui, leur protection, et des emplois. Échange normal, mutuellement utile, dicté par l'honneur et par l'intérêt.

2Nous avons cherché à savoir jusqu'à quel point ces attachements personnels réciproques caractéristiques de l'époque marquaient les relations internes au milieu nobiliaire breton en assuraient la cohésion face au reste de la société, et déterminaient les comportements. Nous nous sommes ainsi posé deux questions :

  • Un gentilhomme au service d'un Grand avait-il avec lui des liens d'une nature vraiment particulière inconnus des simples notables roturiers également employés dans ses affaires ?
  • Au cours des années 1550-1650, qui virent en Bretagne comme ailleurs (moins qu'ailleurs quand même) des partis affrontés et les échos de révoltes nobiliaires, jusqu'à quel point des gentilshommes étaient-ils attachés à suivre tel ou tel Grand dont ils se disaient les serviteurs ? Et combien étaient-ils qui les suivaient ?

3Il s'agit donc d'observer successivement les serviteurs des Grands au sens le plus étroit, gagés, pourvus de commissions et charges précises en leurs affaires ; puis ces autres gentilshommes, qui se disaient aussi leurs serviteurs, parce qu'ils étaient prêts à les suivre et à en défendre les intérêts s'il le fallait et que nous appellerons leurs clients.

4Dans un cas comme dans l'autre, il s'agira de considérer l'entourage des comtes de Laval et barons de Vitré (Laval, puis Coligny, puis la Tremoïlle) ; des barons de Châteaubriant (Montmorency, puis Condé), des vicomtes, puis ducs de Rohan, des comtes, puis ducs de Penthièvre (Étampes, puis Sébastien de Luxembourg, puis Mercœur, puis Vendôme). Faute de les bien connaître, nous ne considérerons pas les ducs de Retz ni les princes de Rohan-Guéméné, mais ils appartenaient bien au même groupe, et on peut convenir de limiter à ces six noms le nombre des grands seigneurs de Cour qui comptaient en Bretagne de 1550 à 1650.

Les serviteurs des Grands dans leurs domaines bretons

5De nombreux gentilshommes avaient des charges rétribuées dans l'administration des grandes terres bretonnes, tout au long de ce siècle. Ils étaient des serviteurs des Grands au sens précis. On doit pouvoir assez facilement les identifier, puisque leurs fonctions étaient bien visibles, et que les traces écrites demeurent normalement nombreuses de leur action. En réalité, la tâche est, dans la pratique, assez laborieuse, et souvent ne mène pas aussi loin qu'il faudrait, lorsque ces gentilshommes ne nous révèlent d'eux que leurs noms. Il est pourtant possible de faire plusieurs observations.

  • 2 Les sources permettant de retrouver les noms des juges seigneuriaux sont très diverses et éparpill (...)
  • 3 Ce contraste régional était net : dans notre échantillon, sur tes 95 juges repérés à Blain, Châtea (...)

61. On remarque d'abord que ces gentilshommes demeuraient nombreux dans les charges des justices seigneuriales des grandes terres (comme aussi d'ailleurs dans celles des justices royales, ou des petites justices seigneuriales). Sur 205 noms de juges seigneuriaux repérés en onze grandes terres bretonnes, et correspondant en réalité à 200 personnes différentes, entre 1550 et 1650, nous avons trouvé 80 gentilshommes, soit exactement 40 %2. Ce n'est là qu'un échantillon. Mais il suffit pour montrer que les gentilshommes juges seigneuriaux ne constituaient pas un groupe marginal. Sans doute étaient-ils plus nombreux parmi les sénéchaux que parmi les alloués, lieutenants, procureurs fiscaux et greffiers. Sans doute aussi étaient-ils nettement plus rares, déjà avant 1650, dans les terres des évêchés de Rennes et de Nantes que dans celles des régions plus occidentales. Mais nulle part ils n'étaient absents3.

  • 4 En 1628, dans les terres du duc de Rohan, il y avait des gentilshommes sénéchaux à Gouarec, la Chè (...)

7Les charges de justice constituaient pour la noblesse un type d'emploi normal. Elle en jugeait ainsi, et elle avait même plusieurs fois affirmé, aux états de Bretagne, au début du xvie siècle, que ces charges devaient lui être réservées, et interdites aux roturiers. Elle en occupait d'ailleurs beaucoup jusque dans les plus petites seigneuries, là du moins où la densité nobiliaire était forte (en Penthièvre et dans le diocèse de Saint-Malo, par exemple). II ne faudrait pas croire que les juridictions les plus importantes attirèrent plus, ou plus longtemps, les gentilshommes que les plus petites4.

  • 5 Gilles de Kergorlay était en 1548 fermier général du comté de Quintin, comme l'avaient été avant l (...)

8Les gentilshommes étaient nombreux aussi dans les charges de recette seigneuriale, ce qui est plus étonnant, car les interdictions faites à la noblesse de se mêler des fermes étaient anciennes, et Charles IX comme Henri III les répétèrent. Or dans les recettes ou dans les fermes des grandes terres tout au long du xvie siècle, et au-delà, on trouvait sans difficulté des familles de la noblesse la plus ancienne, auxquelles la réformation de 1668-1669 reconnut plus de 10 générations5. Ainsi, l'abandon vraiment complet, par la noblesse, du maniement des deniers du seigneur, ne précéda guère la réformation de 1668, et il ne fut finalement pas beaucoup moins tardif, ou plus précoce, que son abandon des charges des justices seigneuriales.

9II faut, pour le comprendre, se rappeler qu'à l'origine la perception des revenus seigneuriaux se faisait sous la forme de la recette. Les fermes générales ne s'imposèrent à peu près partout dans les grandes terres que dans la seconde moitié du xvie siècle. Or, les receveurs d'avant 1550 étaient des serviteurs du seigneur très comparables aux autres : comme tous, ils percevaient un salaire, devaient être fidèles, et ils l'étaient souvent assez pour exercer en même temps bien d'autres charges et commissions de confiance dans l'administration ou dans la maison de leur maître. Le passage de la recette à la ferme, qui eut lieu, en gros, entre 1520 et 1570 dans ces grandes terres, changea sans doute un peu la nature de la tâche à accomplir, mais peu le recrutement de ceux qui s'en chargeaient : ce furent souvent les mêmes hommes et les mêmes familles qui, après avoir fourni des receveurs, fournirent des fermiers. Ils ne pouvaient que continuer à se considérer comme de fidèles serviteurs du seigneur, et ne pas bien voir en quoi cette nouvelle forme de service aurait été moins honorable que telle autre.

  • 6 Le fermier du marquisat d'Acigné cité note 5 n'était pas de cette région-là, puisqu'il demeurait e (...)

10Il faut quand même remarquer qu'en Bretagne orientale (diocèses de Rennes et de Nantes), sous cette forme de la ferme des revenus, le service des grandes terres ne comportait plus aucun gentilhomme après 1550, ou presque6.

112. On remarque aussi que tous ces juges ou fermiers, qu'ils fussent de petits nobles ruraux ou de simples notables roturiers, devaient généralement beaucoup se ressembler.

12Tous étaient issus des paroisses du proche voisinage du chef-lieu seigneurial : 10 à 20 kilomètres au maximum. Chez tous on se parait, quand on le pouvait, des mêmes titres universitaires (licencié aux droits, exceptionnellement docteur), et tout sénéchal se faisait appeler « maître » (au xvie siècle), même s'il était gentilhomme.

  • 7 Sources diverses, et notamment : Frédéric Saulnier, Le Parlement de Bretagne. 1564-1790, 2 vol., R (...)

13Chez tous, on se mariait dans son monde. Normalement, sans doute, les gentilshommes se mariaient-ils dans la noblesse des environs, et particulièrement dans celle qui fournissait comme eux des serviteurs de la seigneurie. Mais il n'était pas rare non plus que des alliances unissent ces familles nobles à ces notables roturiers qu'ils côtoyaient en leurs charges. Michel Nassiet l'a observé en de petites seigneuries, et nous l'observons aussi dans les grandes : les trois premiers procureurs généraux de Châteaubriant au xvie siècle, Gascher, Barbes, Bonnier, tous roturiers, se mêlèrent à la noblesse soit en s'y mariant, soit en y mariant certains de leurs fils, de leurs filles ou de leurs sœurs. Les Hay des Nétumières se marièrent aussi parfois, en ce siècle-là, dans le milieu roturier où l'on était comme eux au service du baron de Vitré, et on trouve des exemples comparables à Lamballe7.

14Chez tous s'observait aussi la même tendance à passer d'une charge à l'autre (d'alloué à sénéchal, par exemple), à passer des fermes aux justices, à atteindre même au sommet la responsabilité d'ensemble de l'administration de la terre : tous pouvaient réellement faire carrière.

  • 8 Ibid., et Paris-Jallobert, op. cit.
  • 9 ADCA, E 30.

15Sous Châteaubriant, la famille Bonnier, issue de la ferme, puis de la justice d'une terre particulière (Martigné), atteignit ensuite la charge de procureur fiscal et procureur général de la baronnie avec Jean Bonnier de la Gaudinais, puis son fils Mathurin Bonnier de la Coquerie, qui la détenait à la veille de la Ligue. Ces Bonnier n'étaient pas des gentilshommes. Mais à Vitré, les Hay des Nétumières l'étaient : Jean Hay, sieur des Nétumières, fut procureur de Châtillon-en-Vendelais, puis en 1527 sénéchal de cette terre, avant de devenir alloué de Vitré. Son petit-fils Daniel Hay du Châtelet fut procureur fiscal de Vitré en 1590, puis lieutenant et capitaine de Laval, et intendant des affaires du duc de la Trémoïlle en 16208. À Lamballe, un autre gentilhomme connut la même ascension : Pierre Poulain, sieur de Quefferon, fils d'un lieutenant et alloué de la juridiction, fut lui-même procureur fiscal de cette terre, et fut en 1603 nommé procureur général de l'ensemble du duché de Penthièvre, et son fils Nicolas lui succéda en cette charge en 16479. La qualité de gentilhomme des Hay ou des Poulain ne distinguait pas leurs carrières familiales au service du seigneur de celle des Bonnier de Châteaubriant.

  • 10 Mu. Co., série L, T. XXI, fol. 117, lettre du sénéchal de Candé à la duchesse de Montmorency, du 1(...)
  • 11 Mu. Co., série L, t. XXXI, fol. 38, 28 février 1597.

16Chez tous aussi se remarquait le même sens du service du maître, qu'ils se transmettaient d'une génération à l'autre, et cela dès avant que se répandît, au début du xvie siècle, la vénalité des charges qui imposa souvent, en pratique, cette transmission : « Madame, comme les bons et excellens maîtres attirent les serviteurs à les bien servir, aymer et honorer, continuer en leur service et y supplanter leur postérité... » commençait en 1570 le sénéchal de Candé, en résignant sa charge à la duchesse de Montmorency en faveur de son fils10. Ou encore : « Je ne puis présenter à Votre Grandeur personne plus proche pour tenir ma place en ladite charge de votre procureur que l'un de mes enfants que j'ay exprès nourry et instruit en la connaissance de vos affaires pour le rendre capable de vous y servir s'il plaît à Votre Grandeur », écrivait en 1597 Mathurin Bonnier au duc de Montmorency, en lui rappelant qu'il avait toujours conservé « affection et fidélité au service du roy et au vôtre11 ». On voit sous ces plumes, qui n'étaient pas celles de gentilshommes, apparaître naturellement des termes exprimant affection et fidélité, que l'on aurait pu croire réservés à des personnes de condition plus haute.

17Pour tous enfin, gentilshommes ou simples notables, le service d'un grand seigneur ouvrait au xvie siècle des possibilités d'ascension sociale, qui se marquaient par le passage au service du roi, en général en l'une de ses cours (sénéchaussées, présidiaux, parlement). Ces possibilités de promotion familiale par le service des grands seigneurs paraissaient toujours assez nettes vers 1600 pour qu'il attirât encore des familles qui ne s'y intéressèrent plus après 1650.

18Pour les roturiers, cette promotion et ce passage au service du roi pouvaient suivre, ou précéder, un anoblissement explicite. En voici quelques exemples, d'ailleurs bien connus : la famille Bonnier, que nous avons déjà citée, grandie au service du baron de Châteaubriant, fut anoblie en 1594, à la fois en la personne du procureur de Châteaubriant, Mathurin, et en celle de son frère François, conseiller au présidial, dont les trois fils furent, l'un sénéchal de Rennes, l'autre procureur général syndic des états, et le troisième conseiller au parlement, cependant que le fils de Mathurin était président aux Enquêtes dès 1597. De même, Jehan Mésanger, juge prévôt d'Ancenis en 1550, parvint à se faire charger des affaires de la maison d'Elbeuf (les barons d'Ancenis), tout en exerçant dès 1557 la charge d'avocat du roi au présidial de Nantes. Il fut ensuite conseiller au parlement de Bretagne, président aux enquêtes en 1576, sans pour autant cesser son service auprès des barons d'Ancenis. La noblesse de sa famille, reconnue en 1668, ne remontait qu'à lui : ce n'était donc pas un gentilhomme.

  • 12 R. Kerviler, Répertoire général de bio-bibliographie bretonne, réimp. de l'édition de 1886-1904, M (...)

19Un même genre de carrière fut aussi celle de la famille Le Coniac, qui fournit divers receveurs et fermiers de la seigneurie de Quintin (aux comtes de Laval) au milieu du xvie siècle, puis des juges seigneuriaux à la fin du siècle et au début du suivant. Elle fut anoblie en 1619 en la personne de Jean Le Coniac, ancien fermier général, et produisit dès lors cinq conseillers au parlement. On pourrait aussi parler de la famille Amproux, que les ducs de Rohan attirèrent en Bretagne aux débuts du xviie siècle, dont ils firent la fortune et permirent l'anoblissement en 1650 : des enfants de Daniel Amproux, alloué de Blain, mort en 1646, l'un fut maître des eaux et forêts de Rohan, l'autre alloué de Vitré puis conseiller au parlement de Paris, et le troisième, Jacques, fut procureur général du roi aux eaux et forêts de Bretagne, puis intendant des finances, et lié d'assez près au surintendant Fouquet pour être entraîné dans sa chute12. Ces carrières, d'ailleurs célèbres, furent celles de notables roturiers.

  • 13 Cf. note 8.
  • 14 ADIV, 1 F 937.

20Mais de vrais gentilshommes pouvaient en connaître de bien proches, à l'anoblissement près. Les Hay, que nous avons vus au service des comtes de Laval et barons de Vitré, fournirent deux conseillers au parlement de Bretagne en 1583 et 1594, les frères de Daniel Hay du Châtelet, dont nous avons dit plus haut qu'il avait prolongé à Vitré et Laval la tradition familiale de service du seigneur. Mais le fils de ce Daniel Hay, Paul Hay du Châtelet, s'en échappa lui aussi à son tour, fut conseiller au parlement, intendant de justice pour le roi en Bretagne, Bourgogne et Bresse (et membre de l'Académie Française13). La famille d'Argentré a présenté le même genre de carrière : Pierre d'Argentré, sieur de la Guichardière, fut sénéchal de Châtillon-en-Vendelais, puis en 1527 sénéchal de Rennes, tandis que son frère Julien était procureur fiscal de Vitré et intendant du comte de Laval. À la génération suivante, Bertrand d'Argentré fut, au milieu du siècle, sénéchal de Vitré, avant d'être lui aussi sénéchal de Rennes jusqu'à la veille de la Ligue. Son frère Jean, sieur de Montorel, prolongeait encore pendant ce temps, comme sénéchal de Montfort, le service familial rendu aux comtes de Laval14.

  • 15 Kerviler, op. cit.

21On pourrait parler aussi, bien qu'il ne s'agisse plus ici de juges seigneuriaux, mais d'autres serviteurs proches, de la famille de Cornulier, employée au service de Jean de Laval avant 1542, puis sous le duc d'Étampes et sous Sébastien de Luxembourg par la suite, dont Pierre III Cornulier fut le premier secrétaire. Cette famille fournit bientôt des maîtres des Comptes à Nantes, et généraux des finances en Bretagne (Pierre III Cornulier, sieur de la Touche, puis son fils Claude). Ils mêlaient le service du roi, en ses finances, à celui de leur maître proche le duc de Penthièvre, et ils le firent jusque pendant la Ligue15.

  • 16 Ibidem.
  • 17 James B. Collins, Classes, Estates and Order in early modern Brittany, Cambridge U. P., Cambridge, (...)

22On pourrait aussi parler de la famille de Bruc, de Guéméné-Penfao : Sébastien de Luxembourg, duc de Penthièvre et gouverneur de Bretagne, employait comme secrétaire Guillaume de Bruc, sieur de Vieille court, qui, après 1569, devint secrétaire du nouveau gouverneur, le duc de Montpensier, mais demeura intendant des affaires de Marie de Beaucaire, durant toutes les années 1570., II le demeura aussi par la suite de celles du duc de Mercœur. Son frère François de Bruc, sieur de Guilliers, était auditeur des Comptes, mais était en même temps lui aussi au service des ducs de Penthièvre : il agissait à l'occasion comme leur procureur en leurs domaines, parallèlement à son frère. Ainsi peut-on comprendre qu'il soit devenu pensionnaire du roi, et qu'il ait donc assisté aux états, parmi les représentants d'une noblesse bien plus relevée que la sienne. Ce n'était pas banal, pour un petit auditeur des Comptes. En 1575, il fut député par les états pour aller saluer Henri III à Lyon, et assister à son sacre. Sa carrière s'était appuyée sur le service rendu aux ducs de Penthièvre, et on comprend qu'il ait pris le parti de Mercœur en 1589. Il fut d'ailleurs blessé cette année-là, lors du siège de Vitré16. À la génération suivante, les deux fils de ce François de Bruc menèrent des carrières assez semblables, à l'ombre de protecteurs efficaces qui, cette fois, furent le duc de Retz et Richelieu17.

  • 18 ADIV, comptes de la baronnie de Vitré, fonds La Borderie, 1 F 1537 à 1547.
  • 19 Cité par Joan M. Davies, « Family service and family stratégies : the household of Henri, duc de M (...)

23Ces serviteurs des Grands, placés en des charges importantes au service du roi dans la province, y étaient évidemment poussés par leurs maîtres, dont c'était là l'intérêt : Pierre d'Argentré, devenu sénéchal de Rennes, continuait à percevoir une pension du comte de Laval18. En 1564, le duc de Montmorency fit obtenir à son secrétaire Jacques Barrin une charge de conseiller au parlement, et utilisa son influence et celle du duc d'Étampes sur les membres de cette cour pour qu'ils consentissent à recevoir ce nouveau confrère : Barrin, c'était bien clair, y était placé pour y veiller aux intérêts de son maître. Cette pratique était connue : « L'honneur d'un grand seigneur est d'avoir des créatures aux charges importantes », disait un peu plus tard le duc Henri Ier de Montmorency19.

  • 20 Kerviler, op. cit.

24D'autres exemples de gentilshommes aux carrières comparables pourraient être cités : ainsi Jacques Budes, sieur du Hirel, procureur de Quintin en 1541 pour le comte de Laval, et qui devint en 1554 procureur général au parlement ; ainsi François de Kermainguy, sénéchal de Blain pour le vicomte de Rohan, et qui le demeura tout en devenant en 1554 conseiller au parlement, par un cumul surprenant que seul le poids de son maître pouvait faire accepter ; ainsi sans doute aussi Guillaume de la Fontaine, conseiller au parlement en 1557, et fils du sénéchal de Montauban (aux Rohan-Guéméné) en 153820.

  • 21 F. Saulnier, Le parlement..., op. cit., M. Quernest, « notions... », op. cit., et Gaston de Carné, (...)

25Ainsi, des destinées familiales ascendantes se rencontraient parmi les serviteurs des Grands, qu'ils fussent ou non gentilshommes. Il n'apparaît pas que leurs rythmes, leurs points d'arrivée et leurs points de départ aient été fondamentalement différents dans un cas et dans l'autre. Le seigneur s'appuyait aussi bien sur les uns que sur les autres, selon ce qu'il trouvait à sa portée, dans le milieu local en général, de compétences distinguées utilisables. Certains de ces serviteurs nous apparaissent d'ailleurs difficiles à classer ou non parmi les gentilshommes. Sans doute devaient-ils déjà paraître tels à l'époque. Ainsi Guillaume de Bouilly, longtemps lieutenant et alloué de Lamballe, de 1567 à 1587, fait alors chevalier de l'Ordre, puis sénéchal (royal) de Jugon après la Ligue ; son petit fils fut conseiller au parlement. Etait-il gentilhomme ? Par les alliances de sa famille au cours du xvie siècle, il donnait l'impression de l'être. L'anoblissement obtenu en 1587 a, en son cas, des allures de confirmation de noblesse21. À bien des égards, il ne serait donc pas très justifié, ni utile, de considérer les gentilshommes à part des autres notables qui, comme eux, se partageaient les charges de justice, de recette, d'administration des grandes terres seigneuriales, et on pourrait se contenter, à leur propos, de simplement répondre à deux questions :

  • Pourquoi les gentilshommes quittèrent-ils, au cours du xviie siècle, ces diverses formes du service seigneurial, particulièrement les charges de justice ? Leur coût, lorsqu'elles vinrent à se vendre, aux débuts du xviie siècle, aurait-il fait reculer les gentilshommes, et seulement eux ? C'est peu vraisemblable, d'abord parce qu'ils ne reculèrent vraiment que plus tard, et ensuite parce que ce coût n'était pas considérable. Seule la charge de sénéchal d'une grande terre — Châteaubriant, Lamballe, Pontivy... — était réellement chère, et pouvait se comparer, par son prix de 20 000 à 30 000 livres vers 1630, à celle de conseiller au présidial (et encore pas au présidial de Rennes ou de Nantes, mais à celui de Vannes, par exemple). Les gentilshommes prirent plutôt progressivement conscience à la fois du moindre honneur que donnait le service de seigneurs moins puissants dans l'État (sans compter la compétence peu à peu amoindrie des justices seigneuriales), et de l'excellence particulière de leur ordre, pour qui seul le service du roi, directement, méritait d'être objet de recherche. Ici comme à d'autres égards, l'époque de la réformation de la noblesse de 1668 fut certainement décisive.
  • Dans la noblesse bretonne, ces emplois de juges et de fermiers seigneuriaux ont-ils contribué à maintenir les positions de l'ordre dans son ensemble ? Beaucoup de familles ont été impliquées dans ces charges, et il est vraisemblable qu'elles se maintinrent plus facilement pendant le temps où elles les exercèrent. Mais leur sort, par la suite, fut extrêmement variable : certaines, nous en avons vu plusieurs, eurent des destinées brillantes, mais d'autres retournèrent à l'obscurité ou firent complètement naufrage. Le service d'une grande terre ne fut réellement décisif que pour quelques unes.
  • Les capitaines. On s'étonnerait qu'il n'y ait rien de plus à dire des gentilshommes employés au service des grandes terres. Au xvie siècle et au début du xviie, la qualité qu'ils avaient ne pouvait quand même pas être indifférente, et en certaines fonctions ou en certaines circonstances, leur présence était irremplaçable22.
  • 23 Les châteaux du duc de Vendôme furent démolis (Ancenis, Lamballe, Guingamp, Moncontour) ; ceux du (...)

26C'était à un gentilhomme seulement que l'on confiait la capitainerie des châteaux et le gouvernement des villes (c'était en général une seule et même charge), car il s'agissait là d'une vraie responsabilité militaire. En 1554, en 1562, lorsque s'agitaient des protestants en armes, en 1585, lors du premier soulèvement de la Ligue, et bien sûr entre 1589 et 1598, où ce fut la guerre civile, on veilla particulièrement à pourvoir de ces charges des gentilshommes aux capacités militaires reconnues. Par la suite encore, certains châteaux conservèrent de petites garnisons, comme Lamballe. Après 1626-1628, où plusieurs des plus importants furent démolis, en tout ou en partie23, la question eut moins d'importance.

27Ces gentilshommes, qui seuls pouvaient être capitaines avant 1650, ne provenaient normalement pas des familles les plus en vue en Bretagne, sinon d'une de leurs branches cadettes, mais plutôt de la noblesse, ancienne et petite, du voisinage du château seigneurial à garder. Mais leurs responsabilités d'ensemble sur la terre, qui étaient étendues, impliquaient qu'ils fussent des hommes de confiance, personnellement connus des seigneurs qui les nommaient. On l'observe à Châteaubriant, où Yvon Pierres, cadet de noblesse angevine, et capitaine du château dans les années 1560, avait longtemps servi dans la maison même de Montmorency ; et où René de Juigné, sieur de l'Aubinaye, autre cadet angevin, qui lui succéda en 1568, avait été aussi bien connu du duc, et avait été commissaire ordinaire des guerres. Georges de la Neufville, qui vint occuper la charge aux lendemains de la Ligue, venait aussi de la maison du duc de Montmorency, dont il était d'ailleurs un cousin lointain, d'une branche bâtarde :

  • 24 Mu. Co., série L, t. CIV, fol. 20, 7 juin 1610.

« Pour mon particulier, Monseigneur, puisque j'ai pris nourriture en votre maison dès ma naissance, je suis résolu d'y continuer mon affection jusques au tombeau », écrivait-il en 161024.

28Philippe de Monthoir, qui fut nommé par la duchesse de Montmorency capitaine de son château de Derval, peu avant la Ligue, devait cette charge à ce qu'il avait, dans sa jeunesse, « été nourri page » en la maison du feu duc, et qu'il était donc aussi un fidèle, ou considéré comme tel.

  • 25 ADCA, E 30.
  • 26 Ibid., E 78.
  • 27 Ibid., E 905.
  • 28 Émile Maillard, Histoire d'Ancenis et de ses barons, Nantes, 1860.
  • 29 Dubuisson-Aubenay, Itinéraire de Bretagne en 1636, Société des bibliophiles bretons et de l'histoi (...)

29À Lamballe, où les seigneurs résidèrent à peu près constamment jusqu'en 1620, Louis du Guémadeuc, sieur du Vaumadeuc et de la Villemaupetit, d'une branche cadette de la famille, était un voisin et un homme sûr : il était capitaine du château et de la ville de Moncontour, et il fut en 1570 institué procureur général du duché de Penthièvre par madame de Martigues25. Il était par ailleurs pensionnaire du roi, ce qui montre que le seigneur avait su le récompenser de ses services. Cinquante ans plus tard, c'était aussi un homme de confiance que le capitaine du château et gouverneur de la ville d'Ancenis, dans les années 1630-1640 : Gilles Pantin, seigneur de la Guère. II avait été capitaine de 150 hommes, et son expérience militaire était donc réelle. Il recevait aussi des missions de confiance dans l'ensemble des domaines bretons du duc de Vendôme, puisque nous le voyons en 1643 chargé de bailler à ferme la seigneurie de Lamballe26, et en 1645 celle de Guingamp27. Par une faveur qui n'était pas si commune, il avait obtenu en 1634 le franchissement de sa terre de la Petite-Guère (en Saint-Géréon28). À cette date déjà tardive, Gilles Pantin offre un bon exemple de ce que devait être normalement le capitaine du château d'un chef-lieu seigneurial : un gentilhomme de noblesse ancienne (on reconnut 13 générations aux Pantin en 1668), mais d'une branche cadette, ayant une expérience militaire, et inspirant toute confiance à son maître. Aux mêmes dates, on trouvait à Quintin, pour le duc de la Trémoïlle, le sieur de Robien comme gouverneur, intendant et maître des eaux et forêts : les trois fonctions les plus sensibles de la seigneurie29.

30On peut quand même rester réservé sur les réelles capacités militaires des capitaines en temps de paix. Hors des périodes de troubles, ils n'avaient pas toujours de garnisons sous leurs ordres, et souvent aussi ils ne résidaient même pas. Ce fut souvent sans difficulté que Mercœur en 1589 s'empara de plusieurs châteaux seigneuriaux, et les hommes qu'il y plaça alors avaient parfois peu de choses à voir avec ceux qu'on y trouvait avant la guerre : des hommes dont il était sûr, et dont les compétences militaires étaient claires — comme Jacques de Kerboudel, sieur de la Courpéan, à Châteaubriant, ou comme Vincent de Coëtlogon, sieur de Kerberio à Josselin —, mais que le seigneur - Montmorency et Rohan, en ces deux cas - ne connaissait pas particulièrement.

31Les capitaines nommés au cours des troubles, et bien clairement choisis pour leurs fonctions d'abord militaires, étaient-ils même tous des gentilshommes ? On a parfois du mal à les identifier, ce qui amène à se poser la question. Qui était ce René Chariot, sieur d'Aunay, capitaine de Châteaugiron en 1590 ? ou ce sieur du Chesnevert, que Mercœur nomma à Châteaubriant en 1597 ? Des cadets coureurs d'aventures, improvisés capitaines de l'une ou l'autre des nombreuses compagnies qui s'étaient alors levées en Bretagne et au dehors ? L'apparition de ces hommes, désignés par leurs seules vertus guerrières, et leur disparition après la Ligue, lorsque la paix fit revenir les titulaires plus anciens des capitaineries, renforcent le doute qu'on peut avoir sur les talents militaires réels des gentilshommes habituellement chargés de ces fonctions.

  • 30 J.-B. Ogée, Dictionnaire historique et géographique de la province de Bretagne, 2 vol., Rennes, 18 (...)

32Bientôt d'ailleurs le doute ne fut plus possible. Lorsque furent nommés en toutes les terres des intendants aux larges pouvoirs, les responsabilités des capitaines se restreignirent, leur charge s'assimila plus encore à celles des autres serviteurs de la seigneurie, et, après 1650, peu à peu, de simples notables roturiers vinrent à l'exercer. À la fin du xviiie siècle, on signalait comme une exception qu'à Josselin tous les capitaines eussent toujours été des gentilshommes30.

  • Ne plaçons donc pas ces capitaines trop à part des autres serviteurs du seigneur, là du moins où ces autres serviteurs étaient souvent aussi nobles. C'était le même milieu. Parmi les gentilshommes, il n'y avait pas deux types de personnes, les unes qui se seraient spécialisées dans les fonctions civiles, et les autres dans ces charges à responsabilités militaires éventuelles. Tous savaient que le devoir essentiel propre à leur condition était de porter les armes, puisque tous pouvaient le faire, et le firent souvent à l'occasion. Un gentilhomme, à la fin du xvie siècle, pouvait être vraiment encore un serviteur à tous usages. Ainsi Ollivier, puis Jean de Tronguidy, furent fermiers de Lamballe et Guingamp de 1570 à 1620, cependant que Guillaume de Tronguidy, lui, fut tué en janvier 1591 à la tête de la garnison du château de Lamballe, en repoussant un assaut du prince des Dombes et du baron de la Hunaudaye31, et que Jacques de Tronguidy fut ensuite officier dans la compagnie du duc de Vendôme : la même famille produisait des serviteurs de tous les types. De même, Yves de Kerguézec, sieur de Coatbruc, était gouverneur de Moncontour en 1590 - responsabilité militaire - et son fils devint ensuite, en 1604-1607, le fermier de cette terre. Sous Châteaubriant, « maître » René du Boispéan, petit gentilhomme de Fercé, était vers 1560 sénéchal de la châtellenie de Teillay, mais son fils Adrien, qui parut aux états de Bretagne, combattit pendant la Ligue et fut tué au combat de Saint-Florent : encore ce mélange, en une même famille, du métier militaire et des charges du service civil de la seigneurie.
  • 32 Gaston de Carné, Les chevaliers..., op. cit.
  • 33 Ibid., et F. Saulnier, Le parlement.,.,op. cit.

33Les deux services pouvaient alterner dans la carrière d'un même gentilhomme : Abel Gouicquet, sieur du Vaupatry (en Plémy), fut capitaine de cent arquebusiers à pied en 1592 (dans le camp royaliste), puis sénéchal de Corlay pour le prince de Rohan-Guéméné, en 1597, et capitaine du château en 1599. Quand il s'en empara par force en 1597, il était à la fois capitaine de sa compagnie, et déjà sénéchal de la juridiction : curieuse figure32. Même mélange dans la carrière de Guillaume de Bouilly, sieur des Portes Morandais, lieutenant puis alloué de Lamballe, et qui en même temps, nous dit-on, se distingua assez dans les armées du roi33 pour être fait chevalier de l'Ordre en 1587 ; ou dans celle de Jacques de Lys, sieur du Tertre, fermier de Moncontour avant de devenir capitaine d'arquebusiers à cheval en 1589.

34Tous ces gentilshommes, capitaines ou autres serviteurs, outre leur capacité à porter les armes, se distinguaient encore par la vigueur habituelle et très grande des formules qu'ils employaient pour exprimer leur fidélité à leur maître :

  • 34 Mu. Co., série L., t. XXXVII, fol. 146, 24 oct. 1597, lettre de Roch Lezot au duc de Montmorency.
  • 35 Ibid., t. XXXIX, fol. 71, 23 janvier 1598, lettre du capitaine du Fresne de Saint-Gilles au duc.
  • 36 Ibid.
  • 37 Ibid., t. XLVI. fol. 208. Lettre du sieur du Goust de Montauban au duc, du 24 février 1599.
  • 38 Ibid., t. XXXVII. fol. 146. Lettre de Roch Lezot au duc du 24 octobre 1597.

« J'exécuterai toujours vos commandements au péril de ma vie, aimant mieux mourir mille fois que d'apporter aucun préjudice à votre service34 ».
Je veux « vous témoigner par mes services et au péril de ma vie la reconnaissance que j'ai de l'obligation dans laquelle Votre Grandeur m'a constitué35 ».
« Je veux mourir en vous témoignant que je suis, Monseigneur, votre très humble et très obéissant serviteur36 ».
« Au premier de vos commandemens, je porteré ma teste aux pietz de Vostre Grandeur pour en ordonner ainsi qu'il vous plaira37 ». « [...] et n'ai au monde plus grande ambition que de servir plutôt par effet que par parolle, et en bref vous donner avis de quelque bonne nouvelle, estant résolu ou de mourir, ou de vous voir reconnu en votre maison38 ».

35Les gentilshommes avaient aussi cette particularité utile au service du seigneur qu'ils avaient un poids social plus grand, qui leur permettait d'en imposer plus facilement, et de faire mieux respecter l'autorité qu'ils représentaient. Là où manquaient des gentilshommes notables, les affaires en souffraient :

  • 39 Ibid., t. XXI, fol. 328, Lettre de Jacques Barrin et de Charles Pierres au duc du 15 mars 1585.

36« Nous vous supplions recommander à quelque seigneur de ce pays ou autre tel que vous adviserez de nous prester l'autorité et la force pour la conservation de vos droits » écrivait en 1585 le capitaine de Châteaubriant au duc de Montmorency39.

37Mais, justement, l'homme que l'on recherchait en de tels cas ne pouvait être le premier gentilhomme des champs venu, et il ne s'agissait normalement pas non plus d'en faire un serviteur régulièrement gagé du seigneur. C'est que le service d'une grande terre, au-delà des charges bien identifiables que comportait son administration, reposait sur l'action de bonnes volontés non seulement dévouées et fidèles, mais encore influentes dans la province, et connues ailleurs que dans le voisinage. On parlait à leur propos de « seigneurs », de « personnes fort qualifiées », ou de « personnes d'honneur », « d'hommes de bien, d'autorité et fidèles », quand on en recherchait à Châteaubriant aux lendemains de la Ligue. Il s'agissait là de gentilshommes d'un autre niveau que ceux que nous avons jusqu'à présent rencontrés.

  • 40 Dom Morice, Mémoires pour servir de preuves à l'histoire ecclésiastique et civile de Bretagne, t. (...)

38Des hommes de ce genre fréquentaient les cours seigneuriales au milieu du xvie siècle, familiers du seigneur auquel ils rendaient fréquemment visite, ou même attachés à sa personne, pensionnés par lui, membres de son conseil ou servant par quartiers en sa maison. Nous en observons vers 1530-1540 autour des comtes de Laval et des sires de Rohan-Guéméné, et nous vérifions qu'ils étaient loin d'être d'obscurs gentilshommes40. Il y en avait alors 30 à 40 autour du sire de Rohan-Guéméné, et une vingtaine autour de Gui XVI de Laval-Vitré. Des personnes de ce genre pouvaient efficacement appuyer l'exercice de l'autorité de leur maître, particulièrement en son absence, et même sans tenir d'emploi gagé précis. Ils allaient sur les terres prêter la main aux serviteurs locaux du grand seigneur qui, de loin, le leur demandait. Dans la première moitié du xviie siècle, on rencontra à l'occasion en ces tâches quelques conseillers au parlement, ce qui était autre chose.

  • 41 Mu. Co., série L, t. XXIII, fol. 192, lettre d'Yvon Pierres, du sieur de Seiches et de Pierre Mass (...)
  • 42 ADIV, 1 F 684, et Bib. Nat. Paris, ms. fr. 20510, fol. 33.

39À Châteaubriant, après 1542, alors que le nouveau seigneur, Montmorency, n'y résidait pas, ce genre de gentilshommes existait, qui aidait encore aux travaux entrepris par les serviteurs du connétable : ainsi Louis d'Avaugour de Kergrois, seigneur de Saffré et de Vay, qui, vers 1550, assistait à Châteaubriant et à Martigné à la réception des aveux des vassaux, à la baillée des fermes, et à l'inventaire des titres. Ainsi René de Cambout, qui était au château de Châteaubriant vers cette date, lorsque le prince de la Roche-sur-Yon vint pour tenter de s'en emparer par force, et qui fut, avec quelques autres serviteurs, de ceux qui surent tenir tête aux 30 ou 40 gentilshommes dont le prince était lui-même entouré41. Ces deux hommes n'étaient pas les premiers venus, et le service qu'ils rendaient à Montmorency les aida dans leurs carrières : en 1552, à la mort de Kergrois, ce fut à René de Cambout que le duc fit donner (par le roi) la commission de faire les montres en Bretagne42. Et la charge de grand maître des eaux et forêts de Bretagne qu'il eut bientôt après ne s'obtint sans doute pas non plus sans l'intervention de Montmorency.

40Mais avec ces deux hommes-là, nous avons affaire à un autre type de gentilshommes bretons, à un autre type de relations avec le seigneur, à un autre milieu que celui des petits nobles, serviteurs gagés et pourvus d'un emploi fixe en une terre. Ces deux hommes, comme disait Montmorency, faisaient partie de ses « serviteurs et amys de delà » : des serviteurs, soit, mais aussi des « amys ». Ce sont eux que nous allons désormais observer.

La clientèle des Grands dans l'élite nobiliaire de la province

  • 43 Le grand seigneur en question tenait bien, en général, à exercer ce pouvoir d'intercession qu'on a (...)

41Les grands seigneurs, proches du roi, étaient un moyen d'aider à faire carrière à son service, et d'en obtenir les faveurs. En sollicitant leur appui, on se proclamait leur serviteur. Une fois la charge obtenue, ou la pension, ou le soutien en un procès, on demeurait leur obligé, on continuait à se dire prêt à en défendre les intérêts, on affichait pour eux son « affection ». La particularité de l'époque était que ces interventions d'un Grand semblaient entretenir, ou récompenser, chez les clients ainsi protégés, des engagements personnels durables, dont la solidité frappe souvent en effet43. La difficulté commence lorsque l'on veut mesurer l'étendue et la profondeur de ces engagements, et même d'abord les identifier, repérer qui s'engageait, auprès de qui, et pourquoi. L'étude systématique, qui serait pourtant bien utile, est ici malheureusement impossible, car nous ne sommes plus dans le monde des serviteurs aux charges précises. Les liens personnels que nous voulons cerner étaient très informels, et ne se laissent apercevoir que fugitivement, çà et là. On peut pourtant faire plusieurs observations à leur sujet.

  • 44 Faits cités par Alain Croix, L'âge d'or de la Bretagne. 1532-1675, Rennes, 1993, p. 224.

421. Des relations de clientèle de ce genre existaient bien en Bretagne entre 1550 et 1650, qui assuraient aux Grands l'appui de gentilshommes qui n'étaient pas du nombre des serviteurs qu'ils gageaient et employaient en leurs domaines. De nombreux gentilshommes accoururent ainsi en 1599 lors du rapatriement du corps du duc de Rohan en Bretagne. Encore en 1667, la duchesse de Rohan écrivait : « beaucoup de mes vassaux et de mes amis accompagnant mon fils dans cette province pourraient aller aux états44 ». Et l'on sait que la confiscation royale des domaines du duc de Rohan en 1628 ne fut enregistrée au parlement qu'avec difficulté et retard, car là aussi il avait de nombreux clients. Le duc de Montmorency avait aussi dans la province des gentilshommes qui étaient des fidèles dévoués. Parmi eux, vers 1550, François Legouz, ancien maître d'hôtel du comte de Laval, et qui écrivait au connétable, baron de Châteaubriant :

  • 45 Mu. Co., série L, t. XXIII, fol. 44, date inconnue.

« Monseigneur, le bien et honneur que je reçus de vous deux est si grand que j'ai délibéré de laisser ma maison de Gallerne pour venir en une que je fais bâtir à quatre lieues de Châteaubriant, afin de m'approcher avec mon petit mesnage45 ».

43Voici encore, toujours sous Châteaubriant, Jean du Fresne, sieur de Saint-Gilles, qui écrivait en janvier 1598 au duc Henri Ier de Montmorency :

  • 46 Ibid., t. XXXIX, fol. 71, 23 janvier 1598.

« Monseigneur, l'honneur que j'ai reçu en la faveur de Votre Grandeur par le roy m'aiant donné une compagnie de ses gendarmes me fait regretter le temps qui s'est passé sans que j'aye eu le pouvoir de vous témoigner depuis, par mes services et au péril de ma vie, la reconnaissance que j'ai de l'obligation en laquelle Votre Grandeur m'a constitué [...] », et il continuait en se proclamant la « créature » du duc46.

44On sent déjà que l'attachement personnel des gentilshommes évoqués ci-dessus était inégalement profond. François Legouz, anciennement familier du duc de Montmorency, et désireux de vivre à l'ombre de sa maison, devait lui être plus attaché que ne l'étaient au duc de Rohan les conseillers au parlement de 1628.

452. Ces relations de clientèle concernaient en premier lieu l'élite nobiliaire bretonne des « barons et chevaliers de l'Ordre », ainsi qu'on les trouve désignés, et que Jean-Marie Constant (et d'autres) appelle « la noblesse seconde » : peut-être une cinquantaine de familles, toutes fort anciennes, entièrement bretonnes, de tradition militaire constante, et liées entre elles par d'incessants entrecroisements matrimoniaux. C'était à elles que se distribuaient les capitaineries et gouvernements des places royales de la province, le commandement des compagnies, ou du ban et de l'arrière ban des divers diocèses. C'était à elles aussi qu'étaient attribués les pensions royales et les titres de chevalier de l'Ordre ou de gentilhomme ordinaire de la chambre du roi - moins exclusivement toutefois après 1580-1590. C'était essentiellement ce groupe qui, surtout jusqu'à la Ligue, fournissait les gentilshommes qui assistaient aux états de Bretagne. C'était donc dans ce groupe surtout, on le voit, que l'on servait le roi et que la chose allait de soi, ce qui explique assez que ce fût là qu'il était le plus nécessaire de se trouver un protecteur.

46Citons, dans le désordre, quelques unes de ces familles de « barons et chevaliers de l'Ordre », telles qu'on les identifie à la fin du xvie siècle : Rosmadec, Goulaine, Guémadeuc, Boiséon, la Chapelle de la Roche-Giffard, Angier de Crapado, la Noue, la Muce-Ponthus, Gouyon de la Moussaye, Acigné, du Chastel, Ploeuc, Du Gué, Montbourcher, Carné, Lezonnet, Coëtquen..., et parmi les plus notables sans doute les Tournemine, barons de la Hunaudaye, ou les diverses branches des Rieux (Assérac, Sourdéac, Châteauneuf)- Ces familles et leurs semblables constituaient le sommet de la hiérarchie nobiliaire bretonne, au-dessous de la demi-douzaine de familles que nous avons choisi d'identifier comme celles des grands seigneurs de Cour.

  • 47 C. de La Lande de Calan, Documents inédits relatifs aux états de Bretagne de 1491 à 1589, Société (...)

47Parmi ces grands seigneurs de cour, tous ne pesaient pas du même poids. L'appui le plus sûr étant nécessairement à attendre de celui qui était le plus puissant à la cour, il y avait tout aussi nécessairement en Bretagne un patron dominant vers qui, loin devant tous, convergeaient les offres de service et les assurances d'affection. Ce patron principal était normalement le gouverneur de la province, à qui revenaient la nomination des capitaines des places, l'octroi de pensions, et qui, lors de ses voyages à la cour, pouvait vous y conduire et vous y faire connaître du roi. La chose était claire, et c'était bien comme une rémunération de ses interventions que les états lui votaient tous les ans une somme substantielle. Quand, en 1570, ils accordèrent 10 000 livres au duc de Montpensier, nouveau gouverneur, ils prirent la peine de préciser que c'était « en considération de son nouveau advènement et de l'espérance et assurance du support et faveur que le pays en pourra recevoir, tant en général qu'en particulier, étant ordinairement près la personne du roi et favorisé de Sa Majesté47 ».

48Il fallait, bien sûr, que le gouverneur répondît bien à l'attente qu'on plaçait en lui. Pour le duc d'Étampes, gouverneur au milieu du xvie siècle, et pour Sébastien de Luxembourg son neveu, qui lui succéda jusqu'en 1569, ce fut bien le cas, semble-t-il. Pour le duc de Mercœur également : à son arrivée en Bretagne, en 1582, les états lui votèrent une somme de 12 000 livres qui était du montant auquel ce don avait stagné dans les années 1570, du temps du duc de Montpensier. Mais ce don monta à 18 000 livres en 1585, et à 19 500 livres en 1586. La progression était significative.

49Par la suite, après la Ligue, les choses changèrent : César de Vendôme, nouveau gouverneur, trop jeune ou peu efficace, joua mal le rôle qu'on attendait de lui. Le don des états stagna. Sa participation à la révolte des Grands de 1614 amenuisa plus encore sa faveur à la Cour et sa popularité dans la province (les deux étant évidemment liées).

  • 48 Mu. Co., série L, t. XCIII, fol. 9 (7 août 1608) ; fol. 53 (21 août 1608) ; t. XCIV, fol. 40 (6 oc (...)

50Par contre, dans ces premières années du xviie siècle, le duc Henri Ier de Montmorency attirait à lui un tel nombre de requêtes et d'offres de service, aussi bien des gentilshommes que des parlementaires ou des états, qu'on sent bien que la province cherchait à s'en faire un protecteur. Son poids dans l'État, son rôle militaire récent aux côtés de nombreux gentilshommes royalistes (il avait été à la bataille de Craon), la confiance très grande que lui accordait Henri IV, les intérêts qu'il avait en Bretagne avec sa baronnie de Châteaubriant, tout porta pendant plusieurs années les Bretons à tourner vers lui leurs regards. Qu'il n'ait lui-même jamais mis les pieds dans la province n'était pas forcément un obstacle insurmontable. En 1608, le baron de Molac assembla une troupe de 250 gentilshommes, prétendument pour accueillir le duc de Vendôme, en réalité pour aller à Beaupréau prêter main forte au mariage du petit duc Henri II de Montmorency avec Jeanne de Scépeaux48. Il se trouve que le duc de Montmorency Henri Ier, puis après 1614 son fils Henri II, que seul leur gouvernement de Languedoc intéressait vraiment, ne se soucièrent pas beaucoup de cultiver les fidélités qui s'offraient, et qui donc cessèrent de se manifester après quelques années.

  • 49 James B. Collins, Classes..., op. cit., p. 184.
  • 50 Ibid. L'auteur cite de nombreux gentilshommes présents aux états comme faisant partie de la client (...)

51Comme bientôt, par ailleurs, le duc de Rohan, impliqué dans les révoltes protestantes, ne pouvait guère avoir le poids nécessaire pour jouer, auprès du roi, le rôle de patron principal de la province - il ne parut qu'une fois aux états entre 1623 et 1655, et c'est significatif49-, et comme le prince de Condé, approché, ne donna pas suite, pour ne pas déplaire à Richelieu, les gentilshommes bretons, aux états, se tournèrent finalement vers le cardinal lui-même, en lui offrant en 1630 le gouvernement de la province, qu'il accepta50.

  • 51 Madeleine Foisil, « Parentèles et fidélités autour du duc de Longueville, gouverneur de Normandie (...)

52La principale clientèle existant en Bretagne demeura donc alors, comme le plus souvent, celle du gouverneur, ce qui a été observé aussi en bien d'autres provinces51.

  • 52 ADIV, 1 F 684, et Bib. Nat. Paris, ms. fr. 20510, fol. 34. lettre du 20 octobre 1552.
  • 53 Ibid, fol. 33.
  • 54 Dom Morice, III, col, 1093,18 juin 1553.

53D'autres que le gouverneur pouvaient naturellement aussi servir de canal à la faveur royale, d'autant plus que ce gouverneur était souvent éloigné, par nécessité, de la cour où tout se décidait, même de ce qui regardait sa charge. On s'en rend compte en plusieurs circonstances. En 1552, le frère du capitaine Kerouen décédé, fut pourvu à sa place, par Henri II, de la capitainerie de Concq, et le duc d'Étampes n'en fut informé que pour qu'il se chargeât de le mettre dans la place52. La même année, le connétable de Montmorency se contenta aussi de l'informer qu'il avait fait mettre son capitaine de Châteaubriant (pourtant d'origine angevine) sur la liste des pensionnaires du roi en Bretagne, et fait donner à René de Cambout la commission de faire les montres en Bretagne53. De même, en 1553, Montmorency ne put faire nommer capitaine de Brest l'homme que François de Rohan, sieur de Gyé (lieutenant général en Bretagne sous le duc d'Étampes), lui avait recommandé : en effet, le fils du capitaine défunt, Jérôme de Carné, était allé lui-même en hâte à la cour se faire donner la charge, par quelque autre canal54.

  • 55 James B. Collins, Classes..., op. cit.

54Au début du xviie siècle, le rôle des autres grands seigneurs n'était toujours pas nul, mais secondaire. Alors, les ducs de la Tremoïlle, de Retz, le prince de Rohan-Guéméné, le marquis de Cossé-Brissac recevaient aussi des dons des états de Bretagne, mais leurs montants inférieurs, leur fréquence moins grande suggèrent des interventions moins habituelles55.

  • 56 Charles Rulon, « Étude généalogique d'une famille noble originaire de Bain de Bretagne : la famill (...)
  • 57 Gaston de Carné, « Les chevaliers... », op. cit.
  • 58 G. Vallée et P. Parfouru, Mémoires de Charles Gouyon, baron de la Moussaye (1553-1587), Paris, 190 (...)

553. Les marques apparentes de ces relations de clientèle. Nous observons bien qu'il s'agissait, par elles, de servir le roi, et, dans ce but et d'abord, de l'approcher. En 1530, le jeune Pierre de la Marzelière, encore mineur, eut Jean de Laval, gouverneur de Bretagne, comme curateur, et cela lui permit d'être présenté à François Ier, et d'être « nourri enfant d'honneur » et page du jeune dauphin Henri56. À peine plus tard, la même carrière de page fut obtenue par le jeune François de la Noue (futur la Noue Bras-de-Fer, 1531-1591), ou par Hardy Pantin de la Hamelinière (né en 1535), « et depuis il fut des ordonnances de la compagnie de monseigneur le duc d'Étampes, gouverneur de Bretagne ». De même le jeune Claude, futur marquis d'Espinay, fut-il élevé à la cour comme enfant d'honneur des rois Charles DC et Henri III, et il fut ensuite capitaine de 50 hommes d'armes et maréchal de camp57. Un peu plus tard, en 1561, le duc d'Étampes présenta au roi et fit recevoir enfant d'honneur de Charles IX le jeune Charles Gouyon, sieur de la Moussaye, qui se retrouva à la cour avec, parmi ses camarades, le jeune Guy de Rieux Châteauneuf (et aussi le jeune Henri de Navarre58). Ce séjour à la Cour annonçait pour tous une carrière militaire, préparait l'octroi du titre de chevalier de l'Ordre du roi, de gentilhomme ordinaire de sa chambre, et l'exercice de charges dans la province, qui prolongeaient l'engagement initial. Toute une carrière était lancée, qui continuait à se mener au service du roi et à l'ombre du grand patron qui l'avait mise en marche.

  • 59 Ibid.

56Nous observons aussi que cet attachement personnel s'exprimait constamment avec force. On assurait son maître de son « affection », on affirmait son désir profond de lui « faire service », et tout cela « sa vie durant », « jusqu'à la mort » : ces termes revenaient sans cesse. Ainsi lorsque Claude du Chastel, lieutenant du roi en Basse-Bretagne, envoya en 1556 au duc d'Étampes un faucon et un tiercelet, il l'assura que « non en cela seulement se voudrait employer, mais en tous autres endroits se tiendrait heureux vous faire agréable service59 ».

57Le terme d'« affection » était particulièrement constant :

  • 60 Ibidem, p. 166.

« Monseigneur, la bonne affection que de votre grâce me avez toujours portée me fait vous supplier très humblement qu'il vous plaise avoir souvenance de me retenir et pourvoir en votre état des pancionnaires de ce pays60 [...] ».

  • 61 Ibid.

58D'autres formules, plus élaborées, se rencontrent aussi, pour une demande de faveur, ainsi en 1557 : « Ce sera cause de me augmenter le moyen de vous faire service, comme celui qui ne prétand de sa vie plus grant eur que de demeurer près de vous et en votre bonne grâce61 ». Formule classique et inusable, que l'on retrouve presque 40 ans plus tard, toujours en une requête :

  • 62 Mu. Co., série L, t. XLVIII, fol. 43, lettre de François Harpin, sieur de la Chesnaye et de Marign (...)

« Ce faisant, vous m'augmenterez non le désir, mais les moyens de vous faire très humble service, et m'obligerez toute ma vie à rechercher les occasions de vous témoigner que je désire avoir l'heur de vous demeurer et être reconnu, monseigneur, votre très humble et très obéissant serviteur62 ».

59Cette tournure précise de la phrase, qui convenait pour une requête, cédait la place à d'autres, lorsqu'il s'agissait d'une offre de service moins immédiatement intéressée, plus spontanée, mais on y retrouvait la même idée d'un échange mutuel, et les mêmes mots-clés de toutes les correspondances de ce genre. Ainsi dans celle-ci, adressée en 1636 au prince de Condé par Louis de Coëtlogon, vicomte de Méjussaume :

  • 63 Ibid., série M, t. VII, fol. 38, lettre de Louis de Coëtlogon, vicomte de Méjussaume, conseiller a (...)

« J'ai pensé devoir offrir à Votre Altesse mon très humble service, espérant que la faveur de ses commandements autorisant mon obéissance et fidélité me pourrait attribuer le bonheur que je souhaite avec passion d'être advoué de Votre Altesse, monseigneur, pour votre très humble, très obéissant et très affectionné serviteur63 ».

  • 64 Toutes ces lettres, sans compter celles qui nous ont échappé, se trouvent au Mu. Co., série L, t. (...)

60Ainsi, partout, revenaient les mêmes mots servant à caractériser la relation qui se créait entre un patron grand seigneur et ses clients : l'un offrait sa « faveur », l'« honneur », « le bien et honneur ». Les autres, eux, offraient de « faire service », « faire très humble service », l'« affection », la « fidélité », le « dévouement », et cela toute leur vie, insistaient-ils. En observant les lettres de ce type reçues de Bretagne, entre 1598 et 1602, par le duc Henri Ier de Montmorency, nous en avons vues qui venaient du maréchal de Cossé-Brissac, lieutenant-général pour le roi en Bretagne, du sieur du Matz de Montmartin, gouverneur de Vitré, du sieur de Molac, gouverneur de Dinan, du sieur de Coëtquen, gouverneur de Saint-Malo, du président Harpin, du président Bourgneuf de Cucé, du procureur général François Rogier, du président a mortier Christophe Fouquet, et aussi d'autres gentilshommes comme Charles d'Avaugour de Kergrois, comme le capitaine Du Goust de Montauhan, comme le petit sieur du Boisbriant (de Châteaubriant), et enfin des états de Bretagne en corps : presque uniquement donc des gentilshommes engagés au service du roi. C'étaient eux qui avaient besoin d'un protecteur puissant auprès du roi, comme l'était alors Montmorency64.

614. Mais voilà qu'à force de lire de ces lettres, et de revoir les mêmes formules qui reprennent les mêmes termes, et finissent par sembler stéréotypées, malgré leur réelle variété (et élégance) de détail, un doute s'installe : derrière cet habillage de mots très forts - affection, fidélité... —, dont nous avons de nos jours largement perdu l'usage, y avait-il vraiment, vers 1600, une réalité profonde, un attachement personnel sérieux ? On croit sentir une grande part de conventions épistolaires, dans tout cela, un peu dénuées de vraies significations. Ce simple soupçon tourne parfois à la certitude :

  • 65 Ibid., série M, par exemple t. II, fol. 400, août 1630.
  • 66 Mu. Co.. série L, t. LXXXIV, lettre de Lezot au duc de Montmorency du 28 février 1606.

62Dans plusieurs lettres de Richelieu au prince de Condé en 1630, nous lisons la même formule, reproduite telle quelle à chaque fois, ce qui déjà éveille la méfiance : « Vous assurant, Monsieur, qu'en revanche de l'assistance qu'il vous plaira me départir en cette occasion, j'embrasseray toujours vos intérêts avec toute l'affection que vous saurez désirer65 », et nous retrouvons mentionnée une « affection » dont nous pouvons croire qu'elle n'était que de pure convention, tant par ailleurs il est certain que le cardinal n'en éprouvait pas plus que d'estime pour le prince. 1630, il est vrai, peut sembler une date déjà tardive. Mais la convention, gratuite des formules employées semble claire dès cette lettre que reçut Montmorency en 1606 : « Il y a deux de vos vassaux, gentilshommes de mérite et très affectionnés à votre service, nommés les sieurs de la Manceliere et de la Chapelle-Bouexic, qui vous supplient très humblement de leur faire accorder par le roi66... ». Quelle réalité pouvait bien avoir ici l'affection prétendue de ces deux prétendus vassaux du duc (ils ne l'étaient pas du tout) ? Nous avons manifestement là une requête des plus banales, transmise au duc par son intendant qui cherchait simplement à obliger deux de ses relations personnelles.

  • 67 Ibid., t. LXVI, fol. 68, 30 juillet 1602.

63La part de convention superficielle de plusieurs des protestations d'affection et de fidélité que nous rencontrons devient très claire lorsque nous découvrons que des parlementaires bretons, solliciteurs empressés du duc de Montmorency aux toutes premières années du xviie siècle, n'ont pas longtemps persévéré dans un dévouement affecté dont ils ne recueillaient pas assez les fruits. Ou lorsque nous observons que l'intendant breton du duc, qui affirmait solennellement qu'il l'avait toujours fidèlement servi et qu'il le servirait toute sa vie, entreprit ensuite pendant une vingtaine d'années, à partir de 1609, de le poursuivre en justice. Ou lorsque nous apprenons que le maréchal de Cossé-Brissac, en dépit des formules des lettres qu'il envoyait au duc, « n'avait jamais fait paraître qu'il fût ni votre ami, ni votre serviteur », selon les mots de cet intendant en 160267.

64Il ne faut donc pas se laisser impressionner par les seules formules ou les seuls mots que nous avons jusqu'à présent relevés. Dès cette époque, se proclamer le serviteur affectionné de quelqu'un, lorsqu'on correspondait avec lui, pouvait simplement signifier qu'on avait intérêt à être déférent avec lui, et qu'on attendait quelque chose de lui. Au xviie siècle, en tout cas, dans le monde parlementaire rennais, les clientèles des Grands rassemblaient surtout des serviteurs qui ne l'étaient qu'en ce sens-là, très atténué. II est vrai qu'ils n'étaient pas non plus, pour plusieurs, des gentilshommes, au sens habituel qu'on donnait alors à ce mot, même si leur noblesse ne prêtait pas à discussion.

  • 68 Ibid., t. XXXIX, fol. 71, Saint-Gilles au duc de Montmorency.

655. Des clientèles solides existaient pourtant. Ce qui les constituait, ce qui les faisait profondes, durables, et plus souvent désintéressées, c'était la parenté, la familiarité ancienne avec le seigneur, ou au moins la connaissance qu'on avait de lui, pour l'avoir fréquenté, en sa maison, aux armées. Et les clients solides se devinent à l'emploi d'autres termes : ils étaient les « amis » du seigneur, ses « vassaux et amis », ses « serviteurs et amis ». Ils « appartenaient » au seigneur, ou ils en étaient les « créatures » : » [...] étant votre créature, je me licencierai vous faire cette humble supplication68 [...] ».>

66La familiarité ancienne, comme fondement d'un attachement, était claire en plusieurs cas. Ainsi François Legouz, le petit gentilhomme que nous avons vu plus haut venir vers 1550 s'établir près de Châteaubriant pour mieux y continuer son service au connétable de Montmorency était certainement un de ces fidèles solides, tout comme ces autres petits gentilshommes que le seigneur plaçait en la capitainerie de ses châteaux. Nous en avons parlé.

  • 69 G. Vallée et P. Parfouru, Mémoires.,.,op. cit.

67Lorsqu'en 1570 le jeune Charles de la Moussaye voulut partir avec monsieur d'Andelot rejoindre les forces protestantes à la Rochelle, en supposant sur ce point à la volonté paternelle, il se justifiait en rappelant qu'à la cour du roi, étant page, il avait bien connu le jeune Henri de Navarre, et avait été « fort aymé de lui69 ».

  • 70 Mu. Co., série L, t. XXXIV, fol. 4, lettre de Lezot au duc de Montmorency du 1er juillet 1597.
  • 71 ADIV, 1 F 935-937. M. du Plessis était prévôt de maréchaux en Bretagne. Il avait concouru au siège (...)

68Ces engagements étaient durables, et réussissaient même curieusement (pour nous, du moins) à survivre à des choix apparemment opposés faits lors de la Ligue : Claude de Cornulier, sieur de la Touche, général des finances en Bretagne, faisait en 1597 partie du conseil du maréchal de Brissac à Rennes, mais on disait pourtant de lui : « Le sieur de la Touche Cornulier est créature de monsieur le duc de Mercœur, qui a encore à présent sa mère domestique de madame de Mercœur, et son frère et son beau-frère présidents à Nantes70 ». Cornulier demeurait donc attaché au duc de Penthièvre, auprès duquel lui et son père avaient servi depuis plus de cinquante ans, et qui avait fait leur fortune familiale. De même, Gilles d'Argentré, sieur du Plessis, se rangea à la fin de 1589 dans le camp royaliste, mais il demeura, nous dit-on, l'« ami » du duc de Mercœur71. Dans ces deux cas, le service du roi l'avait bien emporté sur celui du grand seigneur proche, mais sans l'effacer.

  • 72 Ch. de La Lande de Calan, Documents inédits..., op. cit.

69À la fin du xvie siècle encore (sans doute plus que par la suite), ces clientèles-là se rencontraient au parlement de Bretagne. Lorsqu'en 1587, à la mort du sieur de Cucé, Pierre Brullon, sieur de la Musse, lui succéda comme premier président, les états de Bretagne observèrent avec satisfaction qu'il n'avait « jamais eu aucune affection particulière à aucune personne, dont il puisse être réputé la créature72 », preuve qu'alors, ou peu avant, on pouvait le dire d'autres.

  • 73 ADIV, 1 F 1537 à 1547.
  • 74 Mu. Co., série M, t. V, fol. 104, lettre du prince de Condé à son intendant M. de l'Hommeau, 25 ao (...)

70Il y en avait eu en effet au cours du siècle, de ces juges royaux attachés fortement à un Grand, et non pas seulement occasionnellement en vue d'obtenir une faveur : Pierre d'Argentré, sénéchal de Rennes avant 1550, et pensionné du comte de Laval au service direct duquel il avait été, et au service duquel aussi demeurait le reste de sa famille73 ; Jacques Barrin, secrétaire de Montmorency, et placé par lui en 1564 au parlement de Bretagne, puis à la chambre des Comptes ; et les Mésanger, Kermainguy, Hay des Nétumières dont nous avons déjà parlé. Encore en 1635, le prince de Condé parlait de Louis de Coëtlogon, « Monsieur de Méjussaume, beau-frère de monsieur de Bréquigny qui est à moi74 » comme d'un client sûr. Peut-être était-ce bien le cas.

71La parenté, naturellement, assurait la plus grande solidité de ces clientèles. En février 1598, le baron de Molac (Sébastien de Rosmadec), demandant au duc de Montmorency de le faire maintenir au gouvernement de Dinan, affirmait lui appartenir, et, en en parlant, on le soulignait bien au duc. Or, le baron de Molac était l'époux de Françoise de Montmorency :

  • 75 Mu. Co., série L, t. XXXIX, fol. 187, lettre du 18 février 1598. Sans doute ne fut-ce pas par hasa (...)

« Je vous ai bien voulu faire entendre la conséquence que ce vous est, et à votre maison, que en ladite ville il y ait personne à votre dévotion, ce que vous pouvez croire dudit seigneur de Maulac, puisqu'il a l'honneur de vous appartenir [...] Je puis dire n'avoir trouvé en ce pays personne qui marche en ce qui regarde votre service de telle affection que ledit seigneur baron de Maulac, qui m'a dit n'espérer ledit gouvernement que par votre faveur75 ».

  • 76 Double cousinage même : René Angier de Crapado, grand-père de Claude II ici concerné, avait épousé (...)

72De même lisons-nous, en 1608, de Claude Angier, baron de Crapado, qu'il avait l'honneur d'appartenir à Madame la comtesse de Chemillé (Marie de Rieux, veuve de Guy de Scépeaux), et nous observons qu'il en était en effet un cousin76. Ici encore, nous vérifions que des choix contraires, lors de la Ligue, purent n'être que des épisodes sans conséquences : Claude Angier, le père, s'était rallié à Mercœur en 1591, alors que le comte de Chemillé avait été tué en 1597 au service du roi.

73Ces impressions nous permettent de présenter les relations de clientèle comme des relations personnelles existant essentiellement dans les rangs supérieurs de la noblesse, guidées par l'honneur, l'amitié et l'intérêt, et aidant les gentilshommes à se pousser au service du roi. Mais dans ces relations, la part de l'attachement réel et profond au maître était parfois moins visible que celle du simple intérêt, qui créait des liens plus fragiles, lorsqu'aucune familiarité personnelle ancienne ou parenté n'existaient.

746. Ce tableau d'ensemble doit être précisé par plusieurs remarques :

75La parenté et la familiarité personnelles étant déterminantes dans la solidité des clientèles, on ne s'étonnera pas de sentir que, les années passant, les grands seigneurs se faisant de plus en plus français et de moins en moins bretons, par leurs origines, leurs intérêts, leurs résidences, ils eurent plus de mal à avoir dans la province des gentilshommes profondément attachés à leur service. L'absence d'un grand seigneur n'était pas un obstacle définitif à son intercession, au contraire, même, s'il était à la cour, et bien en cour. Mais elle conduisait à réduire ces intercessions à de simples affaires d'intérêt.

  • 77 G. Vallée et P. Parfouru, Mémoires..., op. cit.

76Mais le rôle de la parenté et de la familiarité explique que ces relations de clientèle, que nous avons jusqu'à présent senties au sommet de l'ordre, se rencontraient aussi dans des rangs moins élevés de la noblesse. Nos « barons et chevaliers de l'Ordre » pouvaient aussi rassembler autour d'eux des clientèles de gentilshommes qui s'emboîtaient à l'occasion dans celles auxquelles eux-mêmes appartenaient. François d'Acigné, sieur de Montejean, qui demeurait ordinairement à Combourg, quand il prit les armes en 1562 du côté protestant, partit à la tête d'une cornette de cavalerie qu'il avait levée, et « sous laquelle, nous dit-on, étaient 150 gentilshommes77 ».

  • 78 Dom Morice, III.
  • 79 Ibid., III, 1427, 31 juillet 1576.

77C'était sans doute, en partie, par le jeu de semblables relations que le protestantisme faisait se constituer, en ces années, en Haute-Bretagne, ces bandes de plusieurs centaines de chevaux qui inquiétaient le gouverneur de la province, son lieutenant, et tous les bons serviteurs du roi78. Pour y faire face, ce lieutenant, Georges du Bueil, sieur de Bouillé, demandait au sieur de la Marzelière de lever lui-même une troupe, et son propos semble bien évoquer une clientèle locale de son correspondant : « Monsieur de Cucé m'a dit avoir passé chez vous, et que vous avez beaucoup de bons hommes à votre commandement en vos paroisses voisines79 ».

  • 80 ADLA, 9 j 6, Dial de Saffré.

78En ces années-là aussi, nous voyons comment se formait une de ces troupes de gentilshommes derrière un seigneur notable : en son château de Saffré, René d'Avaugour de Kergrois n'entretenait directement qu'un ou deux gentilshommes, parmi la vingtaine de ses domestiques. Mais chez lui passaient constamment, du voisinage ou de plus loin, deux ou trois dizaines d'autres, dont les mêmes noms reviennent souvent dans son Journal80, de même que lui-même fréquentait volontiers la cour du duc de Rohan à Blain : au réseau de fidèles tissé autour de Rohan répondait, à un niveau inférieur, cet autre réseau qui était constitué autour du seigneur de Saffré, et les deux se complétaient.

  • 81 Voit supra, note 48 Mu. Co., série L, t. XCIII et XIV.
  • 82 Ibid., t. XCIII, fol. 9, 7 août 1608.

79Lorsque le baron de Molac, en 1608, rassembla 250 gentilshommes pour aller aider au mariage du petit duc Henri II de Montmorency à Beaupréau (nous en avons parlé plus haut81), on disait au duc qu'il s'agissait « de ses amis et de vos serviteurs ». Nous pencherions pour y voir bien plus les « amis » de Molac que les « serviteurs » de Montmorency. C'était vraisemblablement surtout la clientèle personnelle de Sébastien de Rosmadec, qu'il mobilisait en faveur du maître qu'il s'était lui-même donné. Et lorsqu'à Beaupréau, dans l'été, monsieur de Soubise avait tenté, plus ou moins sur ordre de Henri IV, d'enlever Jeanne de Scépeaux, la fiancée, bien d'autres gentilshommes étaient accourus, et nous apprenons ainsi que l'oncle de cette fiancée, « Monsieur de Scepeaux envoya douze gentilshommes à Madame la comtesse de Chemillé sa sœur pour l'assister », et qu'un autre « gentilhomme de ses serviteurs » alla par ailleurs avertir à Rennes les serviteurs de Montmorency82. Ainsi s'emboîtaient, s'épaulaient et se renforçaient les clientèles, et se ramifiaient-elles jusqu'au cœur du monde des gentilshommes provinciaux.

  • 83 Alain Raison du Cleuziou, « Journal de François Grignart, sieur de Champsavay (1551-1607) », BSECN (...)

80Voici un exemple frappant de leur solidité. François Grignart de Champsavay (en Évran) était très lié à Guy de Rieux-Châteauneuf, à la suite duquel il s'était mis en 1576. II l'accompagnait partout : aux états de Bretagne à Rennes, à Fougères, à Vannes. II le suivit à Brest, et, en 1580, à la cour, où Rieux, nous dit-il, « mena belle noblesse avec lui ». Pendant la Ligue, François Grignart fut naturellement royaliste, comme Châteauneuf (alors que son propre frère était ligueur). Et à la naissance de son fils, en 1599, il lui donna le prénom de Guy, en souvenir de son maître, qui avait été tué en 1591 à Granville83.

  • 84 Jean-Marie Constant, Les Guise, Paris, 1984, p. 217.
  • 85 Ibid., La Ligue, Paris, 1996, p. 330.

81Ces clientèles ramifiées jusqu'au cœur de la masse des gentilshommes bretons y concernaient-elles beaucoup de monde ? Nous ne pouvons en faire le calcul, mais on peut penser que lors de la Ligue la majorité des gentilshommes, en Bretagne comme ailleurs en France, ne prit aucun parti, resta tranquillement chez elle (autant du moins que c'était possible), ce qui impliquait que ces gens restaient à l'écart de ces attachements aux seigneurs qui les auraient portés à se mobiliser. Jean-Marie Constant a compté en Beauce et dans le diocèse du Mans 80 à 85 % de gentilshommes restés simples spectateurs des événements durant toutes les guerres de religion84. Et il a même calculé que, chez les « barons et chevaliers de l'Ordre », la proportion des neutres, les « rieurs », était, bien que moins forte, encore considérable pendant les guerres de la Ligue : 30 à 40 % en toutes les provinces de la moitié nord de la France, et 39 % en Bretagne85. Si donc 60 % seulement de l'élite nobiliaire bretonne ont pris les armes durant le Ligue, les plus petits gentilshommes, moins attentifs au service du roi, parce qu'ils avaient normalement moins à en espérer, ont dû le faire dans une proportion nettement plus faible. C'est une supposition vraisemblable, qui nous porte à estimer également assez limitée l'expansion des clientèles nobiliaires dans la masse de la noblesse, car les deux comportements — prise de parti durant la Ligue, et attachement à la suite d'un grand seigneur — me semblent avoir trop de parentés entre eux pour ne pas s'éclairer l'un l'autre. Reconnaissons quand même ne rien pouvoir quantifier sérieusement.

  • 86 G. Vallée et P. Parfouru, Mémoires..., op. cit.
  • 87 Ibid.

82Rajoutons une troisième observation : ces relations d'affection, de fidélité, de service, liaient tout autant, entre eux, des seigneurs d'importance comparable. Ainsi un commun passé de page à la cour de Charles IX avait-il lié à vie Guy de Rieux, sire de Châteauneuf, et Charles Gouyon de la Moussaye : « Cette amitié avec Monsieur de Châteauneuf, ayant toujours été entretenue, m'a depuis beaucoup profité, tant pour mon mariage avec sa belle-sœur, qu'en tous autres affaires où j'ay eu besoin de son authorité et assistance86 ». De même, François d'Acigné, sieur de Montejean « étant aux troupes, lui et le comte de Montgomery furent intimes amis87 », et ils le demeurèrent.

  • 88 Jules Berger De Xivrey, Recueil..., op. cit.

83Les relations d'Henri IV avec le duc de Montmorency, pendant et après la Ligue, tiraient aussi clairement une grande partie de leur solidité de ce qu'elles s'étaient établies au long de plus de dix ans de combats menés côte à côte. C'était une camaraderie d'armes, forte et durable : « Je vous prieray de m'aimer toujours, et de faire état certain que je vous aime », écrivait le roi (entre autres formules similaires88).

  • 89 ADIV, 1 F 684 ; Bib. Nat. Paris, ms. fr. 20510, fol. 112, 16 juillet 1564.
  • 90 Ibid., fol. 28
  • 91 Dom Morice, III, 1151, 21 novembre 1555.
  • 92 Ibid, III, 1266, 5 janvier 1561.
  • 93 ADIV, 1 F 684 ; Bib. Nat. Paris, ms. fr. 20510, fol. 112.
  • 94 Ibid.

84Au milieu du xvie siècle, l'offre réciproque et l'échange confiant de services, l'assurance d'une affection et amitié mutuelles, se rencontraient dans les relations qu'entretenaient le vicomte de Rohan, le comte de Laval Gui XVII et le duc d'Étampes avec le connétable de Montmorency. Les deux premiers en étaient des parents, mais le troisième ne l'était pas, et pourtant les rapports étaient étroits : « Je vous supplieray croyre qu'en toutes choses qui vous toucheront et qui se présenteront ici, que je m'y emploie-ray de telle affection et bonne volonté que je feray pour moy mesme », écrivait Montmorency à Étampes en 156489. Des marques plus précises de ces liens entre les deux hommes apparaissent : à l'été 1549, le connétable laissa au duc d'Étampes la libre disposition de son château de Châteaubriant « pour le recouvrement de sa santé90 ». En 1555, le duc d'Étampes abandonna au connétable tous les droits qu'il pouvait avoir sur l'héritage de Jean de Laval, et lui céda aussi les droits qu'il percevait sur les ports entre Couesnon et Arguenon. En même temps (et la coïncidence n'est évidemment pas fortuite, on sent l'échange de services réciproques), le comté de Penthièvre, qu'Étampes tenait jusque là par engagement, lui était laissé par le roi en pleine propriété. Ce ne fut certainement pas non plus un hasard si le maître des Comptes parisien, envoyé alors pour procéder à la « réunion et réformation générale de la comté de Penthièvre et seigneurie de Guingamp », fut le propre intendant général de Montmorency, Jean d'Alesso, sieur de Lezeau. Ce fut lui qui arbitra un accord entre les habitants de Guingamp et le duc d'Étampes91. En 1558, Montmorency acheta du duc d'Étampes sa châtellenie de Champtoceaux, en même temps qu'il lui prêtait de grosses sommes. En 1561, le même Jean d'Alesso assurait le duc d'Étampes que son maître, « ledit seigneur connestable est autant vôtre et à votre commandement que sçauriez désirer92 ». En 1564, Montmorency, en faisant pourvoir son secrétaire Jacques Barrin d'un office de conseiller au parlement de Bretagne (essentiellement pour veiller à ses intérêts dans la province), lui recommanda de veiller aussi aux affaires du duc d'Étampes comme aux siennes propres93. C'était ici encore un échange de services réciproques. Montmorency souhaitait qu'Étampes utilisât ses propres relations au parlement pour aider à la réception de Barrin : « [...] s'il a besoing de vostre aide et faveur envers vos amys audit parlement pour sa réception, que vous l'en veuillez le couvrir pour l'amour de moy94 ».

85Cette affection mutuelle des deux hommes aidait particulièrement à faire du gouverneur de Bretagne le duc d'Étampes un patron efficace pour les gentilshommes bretons, quand ils ne s'adressaient pas eux-mêmes directement à Montmorency

86On peut observer aussi que la distinction, qui n'a pas cessé d'être faite plus haut, entre les grands seigneurs de cour, pourvoyeurs de la faveur royale, les « barons et chevaliers de l'ordre », principaux amateurs des charges et pensions royales, et donc clients des Grands, et enfin les gentilshommes provinciaux ordinaires, cette distinction est commode, mais n'autorise pas à imaginer des groupes aux limites très nettes. Il ne faut pas forcer le trait. Par bien des côtés, certains gentilshommes s'apparentaient autant à un de ces groupes qu'à un autre : ainsi voyait-on au xvie siècle certains petits seigneurs, de familles anciennes mais aux biens très modestes, paraître aux états et y exercer des responsabilités, comme les sieurs du Pordo, ou de Chamballan.

  • 95 Ch. de La Lande de Calan, Documents..., op. cit.
  • 96 Dom Morice, III, 1093, 18 juin 1553.
  • 97 Ibid., III, 1391, 17 décembre 1571.

87De même, dans la forte noblesse bretonne des barons et chevaliers de l'ordre, arrivait-il en ce siècle-là qu'on pût s'adresser au roi sans avoir besoin d'intermédiaire. Ceux de ses membres qui avaient été pages à la cour étaient personnellement connus du roi, et accouraient se présenter à lui et l'accompagner lorsqu'il passait en Bretagne : on le vit avec Charles IX en 1565 ou 1570. Il leur arrivait de faire le voyage de la cour : René d'Avaugour de Kergrois, seigneur de Saffré, qui était un pilier des états dans la seconde moitié du xvie siècle, fut sans doute le gentilhomme le plus souvent choisi par son ordre pour faire ce voyage, c'est-à-dire pour porter au roi les remontrances de la province. Il y alla au moins sept fois, et chaque voyage pouvait durer jusqu'à trois mois : il connaissait certainement la Cour, et le roi, plus et mieux que pour les avoir aperçus en coup de vent95. Et quand en 1553, ainsi que nous l'avons dit, le sieur de Carné obtint la charge de capitaine de Brest, en s'empressant d'aller à la cour porter la nouvelle de la mort de son père, précédent titulaire, avait-il vraiment eu besoin d'y trouver un intercesseur96 ? Charles IX, par la suite, semblait le connaître, qui lui écrivait en 1571 qu'il avait « si bonne souvenance de (ses) services qu'il ne se présentera jamais occasion de vous en faire reconnaissance que je ne le fasse volontiers97 ».

  • 98 Ibid., III, 1366, 2 août 1570.

88La même question se pose à propos de Claude de Langan, sieur du Boisfévrier, lorsque nous voyons qu'à sa mort la reine intervint en faveur de sa veuve et de ses enfants, rappelant qu'il avait été maître d'hôtel du roi (« et le nôtre »)98. On sait aussi qu'Henri IV connaissait et appréciait Rieux-Sourdéac, et bien d'autres aussi sans doute, qui avaient pu durant les guerres l'approcher sans difficulté, et ensuite, car il passait, comme Charles IX - mais non pas comme Henri III -, pour être accessible facilement à ses gentilshommes.

  • 99 Jean-Marie Constant, La Ligue, op. cit., p. 326-332. Toutefois, en dépouillant rapidement la liste (...)

89Il y aurait enfin des observations à faire sur l'attitude des gentilshommes bretons qui suivirent le duc de Mercœur pendant la Ligue. Il y en eut, et même beaucoup, y compris parmi les familles les plus notables de la province. Jean-Marie Constant, étudiant les 622 familles titrées ayant produit des chevaliers de l'Ordre entre 1560 et 1610, a remarqué que, globalement, 44 % ne prirent pas parti, 38 % furent royalistes, et seulement 17 % ligueuses ; mais aussi que la Bretagne fut nettement la province où ces ligueurs furent les plus nombreux : 32 % de la catégorie qu'il étudie (et les royalistes 29 % seulement99). Tout ce que l'on sait du fort sens du service du roi qui existait dans cette noblesse fait que l'on s'étonne. En Bretagne, il y aurait eu en gros, parmi les gentilshommes qui comptaient réellement, seulement un royaliste pour un ligueur, alors que la moyenne française, vérifiée même en Bourgogne et Champagne, où les Guise étaient gouverneurs, était de deux pour un. Il n'y a pas à notre portée d'explication définitive et convaincante. Nous pouvons simplement avancer :

  • que la possession du Penthièvre par Mercœur n'explique rien, on le sait : ses partisans n'en provenaient pas particulièrement.
  • que par contre, lorsque Mercœur fut nommé gouverneur de Bretagne, en 1582, il s'agissait pour Henri III de placer un homme sûr dans la province. Mieux que les Guise dans les leurs, il avait tout pour être le patron efficace qu'on souhaitait, car ses relations avec le roi son beau-frère étaient excellentes, et, à la différence des autres gouverneurs sûrs qu'avait le roi, comme Épernon ou Joyeuse, il n'était pas un parvenu impopulaire dans la noblesse. On comprend qu'il ait pu se créer des obligés. Rieux-Châteauneuf et Rieux-Sourdéac, qui furent royalistes durant la Ligue, l'avaient suivi en 1585 dans sa « rebellion inavouée », la première révolte de la Ligue, et cela confirme bien l'importance des clientèles, de même que l'amitié que conservèrent à Mercœur, après 1589, les sieurs de Cornulier et du Plessis.
  • que le sens du service du roi était quand même assez fort parmi les gentilshommes pour que, après la mort d'Henri III, plusieurs de ceux qui avaient suivi d'abord Mercœur se missent à changer de camp : Rieux-Châteauneuf dès 1589 ; Gilles d'Argentré, sieur du Plessis, à la fin de l'année ; Claude de Langan, sieur du Boisfévrier, très vite également ; François, sire de Kersauson, en Léon, en 1595 ; François du Breil, sieur de Rais ; Urbain de Laval, sieur de Boisdauphin, en 1593 ; le plus jeune des frères d'Arradon aussi, en Vannetais. Jean-Marie Constant a-t-il tenu compte, dans ses calculs, de toutes ces défections que subirent les ligueurs, et qui ne furent pas compensées par un mouvement inverse symétrique ?
    On disait en tout cas en Bretagne, vers la fin de la Ligue, que les principaux des seigneurs de la province étaient royalistes pour la plupart (alors que les plus petits suivaient autant un parti que l'autre, et, pour certains, en changeaient selon leurs intérêts du moment).
  • que la seule défection notable que connurent les royalistes, et qui les surprit, fut celle de Claude Angier, baron de Crapado. En 1591, il voulut livrer Rennes à Mercœur, fut démasqué, et décapité l'année suivante. La raison de sa défection tenait aux promesses que Rieux-Assérac, au nom de Mercœur, lui avait faites : 10 000 écus, la charge de gouverneur de Rennes et une place de maréchal de camp, et Claude Angier avoua que sa veuve et ses enfants allaient être « fort nécessiteux » après sa mort, comme il l'était déjà en réalité lui-même (les marques de la ruine - précoce - de cette famille apparaissaient dès avant la Ligue100). Il avait vraiment trahi son camp pour de l'argent, et non par suite d'un quelconque attachement pour Mercœur. Le seigneur du Pé d'Orvault, autre gentilhomme ligueur, connaissait aussi, plus que d'autres, dès avant la Ligue, des difficultés financières. Or à Nantes, dans le camp ligueur, il y avait de l'argent, c'était du moins ce qu'on disait en face.
  • 101 Mu. Co., série L, t. XXX, fol. 202, lettre de la Courpéan au duc de Montmorency du 4 décembre 1596

90L'engagement ligueur, moyen de porter remède à une ruine menaçante, plus qu'affaire d'attachement personnel à un maître jusque dans sa révolte ? Insister sur le profit matériel attendu du choix ligueur nous semble permettre de relativiser la gravité de ce choix. Être au service de Mercœur ne semblait probablement pas totalement contradictoire avec le désir, fondamental, de servir le roi. À Châteaubriant, Jacques de Kerboudel, sieur de la Courpéan, nommé par Mercœur capitaine du château, n'en écrivait pas moins à Montmorency — et il le faisait sous les yeux de Mercœur — pour « le requérir très humblement m'honorer de l'heur de ses commandements et m'en envoyer le pouvoir... à ce que je fasse preuve que je suis, veux vivre et mourir votre très humble et très obéissant serviteur et très fidèle vassal101 ». Il entendait bien entrer dans le service de Montmorency — fidèle du roi — sans quitter celui de Mercœur. Comme on a parlé des conflits de fidélités lors de la Ligue, entre lesquelles il était difficile de choisir, on pourrait parler tout autant de fidélités multiples et conservées simultanément, aussi antagonistes qu'elles puissent nous apparaître. Henri IV dut comprendre tout cela, en se montrant si généreux avec les Ligueurs en 1598.

91Il n'est pas question que toutes ces observations (qui n'ont pu être une étude vraiment systématique et quantifiée des comportements de chaque groupe noble) remettent en question ce que l'on sait de l'importance des clientèles nobiliaires, et de la force des liens personnels au moment des choix politiques de cette période. On les constate assez chez les gentilshommes protestants ou chez les gentilshommes ligueurs, avant 1600. En 1652 encore, Henri de la Chapelle, marquis de la Roche-Giffard, fut tué au combat de la porte Saint-Antoine, aux côtés du prince de Condé auquel il avait lié sa fortune : des liens solides existaient toujours au milieu du xviie siècle.

92L'impression toutefois demeure qu'on doit éviter de voir partout à l'œuvre de profonds engagements personnels dans toutes les relations qu'entretenaient les Grands avec les gentilshommes bretons. La vigueur des formules épistolaires était déjà souvent démesurée, par rapport à la réalité des sentiments. Les Grands ne se sentaient pas vraiment plus liés aux gentilshommes qui les servaient en leurs terres qu'ils ne l'étaient à leurs autres serviteurs aux emplois similaires. La confiance qu'ils leur accordaient ne devait rien à leur qualité de gentilshommes, qui n'était indispensable qu'en la charge de capitaine. Mais il est certain que chez tous ces hommes, nobles ou non, la fidélité au seigneur était une tradition familiale.

93Les Grands, rajoutons-le ici en deux mots, ne se sentaient, par ailleurs, pas particulièrement attachés à leurs vassaux, qu'ils connaissaient surtout comme leurs adversaires lors d'innombrables procès. Ce ne fut qu'au xviiie siècle qu'ils crurent bon d'affecter parfois une bienveillance ostensible à leur égard.

94Les relations de clientèle qu'avaient les Grands dans la province leur attachaient surtout des « barons et chevaliers de l'Ordre », qui avaient le plus de chances d'être personnellement connus d'eux, et le plus d'intérêt à l'être. L'intérêt en effet avait une grande part dans ces relations, mais quand il n'y avait que lui qui les créât, occasionnellement, il ne suffisait pas à leur donner force, profondeur et durée. Cela se devine en particulier dans le cas des parlementaires rennais après la Ligue. La parenté et la familiarité personnelle, elles, créaient les liens les plus solides, tant avec des membres de cette « noblesse seconde » qu'avec de plus petits gentilshommes.

95L'attachement à un Grand ne pouvait pas, normalement, remettre en cause le service dû au roi, puisqu'il était justement une façon d'y concourir. En 1614, fuyant Paris et se réfugiant en Bretagne (à Ancenis, puis à Lamballe), le duc de Vendôme vit bien quelques gentilshommes venir se mettre à ses côtés ; mais les états, unanimement, se désolidarisèrent de lui. II est vrai qu'il y eut la Ligue et Mercœur. Mais lorsqu'on insiste sur la forte proportion de gentilshommes qui le suivirent en 1589 (forte proportion que l'on peut expliquer), on aurait tort d'imaginer là un choix radical et nettement tranché, sans nuance. Autant il demeurait un attachement ancien à Mercœur chez plusieurs gentilshommes devenus royalistes, autant le sens du service du roi ne pouvait avoir déserté l'esprit de bien des Ligueurs.

Notes

1 N.B. Nombre des citations insérées dans le texte sont tirées de la correspondance reçue de Bretagne par les ducs de Montmorency, et conservée, pour ce qui en subsiste, dans les archives du Musée Condé à Chantilly. Nous avons utilisé l'abréviation Mu. Co. pour y renvoyer. ADIV, 1 J 126.

2 Les sources permettant de retrouver les noms des juges seigneuriaux sont très diverses et éparpillées. La liste des juges de Vitré se trouve dans : Paul Paris-Jallobert, Journal historique de Vitré, Vitré, 1880, rééd. Mayenne, 1995. Pour ceux de Lamballe, M. Quernest, « Notions historiques et archéologiques sur la ville de Lamballe », BSECN, t. XXIV, 1886, p. 47 à 208. Les justices étudiées sont les seules justices de Blain, Châteaubriant, la Guerche, Vitré, Lamballe, Moncontour, Guingamp, Quintin, Corlay, Josselin et Pontivy, en laissant de côté le comté de Léon, la principauté de Guéméné, la baronnie d'Ancenis, le duché de Retz, le comté de Montfort, etc. Et pour ces onze sièges de justice. nos listes n'ont pas pu être parfaitement complètes. Par ailleurs, nous n'avons pas considéré les plus petits sièges de ces grandes terres, comme Gouarec, Rohan, la Chèze sous Rohan, comme Derval, Nozay, Martigné, Oudon, sous Châteaubriant, comme Chevré, Marcillé, Châtillon, sous Vitré. Un décompte vraiment complet des juges seigneuriaux en ces onze terres nous aurait sans doute fait découvrir deux fois plus de personnages, soit probablement 160 gentilshommes, issus de 120 à 140 familles différentes.

3 Ce contraste régional était net : dans notre échantillon, sur tes 95 juges repérés à Blain, Châteaubriant, Vitré et la Guerche, les gentilshommes n'étaient que 19, alors qu'ils étaient 61 sur les 105 du Penthièvre, de Quintin, Corlay, Josselin et Pontivy : 1 sur 5 à l'est de la Bretagne, et 60 % plus à l'ouest. Ce contraste régional, clair tout au long du siècle que nous envisageons, fut encore plus net après 1650, car alors les officiers de justice nobles disparurent presque totalement des diocèses de Rennes et de Nantes : le sénéchal de Châteaugiron mort en 1724, J.-F. Déelin, sieur de la Pinceguerrière, fut à cet égard une curiosité exceptionnelle. À Lamballe, par contre, en plein cœur du xviiie siècle, deux alloués et un procureur fiscal étaient encore des gentilshommes d'ancienne noblesse. À Josselin, en 1680, le simple greffier lui-même l'était encore, sans parler de quelques juges.

4 En 1628, dans les terres du duc de Rohan, il y avait des gentilshommes sénéchaux à Gouarec, la Chèze et Rohan, alors que ce n'était le cas, à l'époque, ni à Josselin, ni à Pontivy. En 1600, dans toute la baronnie de Châteaubriant, le seul sénéchal noble était celui de Derval, et non pas celui du siège principal Châteaubriant, voir aussi Michel Nassiet, Noblesse et pauvreté, Rennes, SHAB, 1993.

5 Gilles de Kergorlay était en 1548 fermier général du comté de Quintin, comme l'avaient été avant lui plusieurs de ses parents. Les Boisgelin, non loin de là, furent fermiers de la Roche-Suhart (au duché de Penthièvre) dans les années 1560, cf. : Monique Langlois, « Étude historique, administrative et économique de la seigneurie de Quintin jusqu'en 1682 », thèse de l'École nationale des Chartes, dactylographiée, Paris, 1946, et ADCA, E 1218 et E 1318. Jean Le Forestier, sieur de Lymillion, fut fermier de Lamballe à la fin du xvie siècle, en même temps que Jacques de Lys, sieur du Tertre, l'était de Moncontour, ibid., E 78. La famille de Tronguidy (Troguindy), toujours dans le duché de Penthièvre, produisit divers fermiers des terres de Lamballe et de Guingamp entre 1570 et 1620.On peut à l'occasion découvrir des fermiers gentilshommes bien plus tard encore : en 1656, le fermier du marquisat d'Acigné (à Cossé-Brissac) était Dominique Scot, sieur de Martinville ; et Jean de Tremereuc, sieur de Guiterel, l'était en 1659 de la terre du Gué-de-l'lsle (à Pélagie de Rieux), ADIV, 4 E 164. Dans le diocèse de Saint-Malo, Michel Nassiet a observé aussi de nombreux petits gentilshommes prenant des dîmes à ferme au milieu du xviie siècle, Noblesse..., op. cit., p. 175-178.

6 Le fermier du marquisat d'Acigné cité note 5 n'était pas de cette région-là, puisqu'il demeurait en Pluduno, et, dans le diocèse de Rennes, il n'y avait plus d'autre gentilhomme fermier depuis longtemps. Sous Vitré et Châteaubriant, en tout cas, aucun ne nous est apparu après 1570, ou alors ne s'agissait-il que de gentilshommes se portant cautions d'un fermier. Plus à l'ouest, par contre, et comme les charges de justice, les charges de recette attiraient les gentilshommes quand ils étaient encore nombreux dans les campagnes du voisinage, parmi le tout-venant des simples notables ruraux.

7 Sources diverses, et notamment : Frédéric Saulnier, Le Parlement de Bretagne. 1564-1790, 2 vol., Rennes, 1909.

8 Ibid., et Paris-Jallobert, op. cit.

9 ADCA, E 30.

10 Mu. Co., série L, T. XXI, fol. 117, lettre du sénéchal de Candé à la duchesse de Montmorency, du 1er juillet 1570 (la seigneurie de Candé appartenait à la baronnie de Châteaubriant).

11 Mu. Co., série L, t. XXXI, fol. 38, 28 février 1597.

12 R. Kerviler, Répertoire général de bio-bibliographie bretonne, réimp. de l'édition de 1886-1904, Mayenne, 1978 ; Daniel Dessert, Argent, pouvoir et société au Grand Siècle, Paris, 1984, p. 521.

13 Cf. note 8.

14 ADIV, 1 F 937.

15 Kerviler, op. cit.

16 Ibidem.

17 James B. Collins, Classes, Estates and Order in early modern Brittany, Cambridge U. P., Cambridge, 1994, p. 190 sqq.

18 ADIV, comptes de la baronnie de Vitré, fonds La Borderie, 1 F 1537 à 1547.

19 Cité par Joan M. Davies, « Family service and family stratégies : the household of Henri, duc de Montmorency, ca 1590-1610 », Bull, of the Society for the Renaissance studies, III (1), 1985.

20 Kerviler, op. cit.

21 F. Saulnier, Le parlement..., op. cit., M. Quernest, « notions... », op. cit., et Gaston de Carné, Les chevaliers bretons de l'ordre de Saint-Michel, Nantes, 1884.

22 Cf. A. Pacault, « Serviteurs et fidèles du duc Henri Ier de Montmorency dans ses domaines bretons autour de 1600 », MSHAB, t. LXVI, 1989, p. 79-117.

23 Les châteaux du duc de Vendôme furent démolis (Ancenis, Lamballe, Guingamp, Moncontour) ; ceux du duc de Rohan furent partiellement épargnés, Michel Duval, « La démilitarisation des forteresses après la Ligue. 1593-1628 », MSHAB, t. LXIX, 1992, p. 283-305.

24 Mu. Co., série L, t. CIV, fol. 20, 7 juin 1610.

25 ADCA, E 30.

26 Ibid., E 78.

27 Ibid., E 905.

28 Émile Maillard, Histoire d'Ancenis et de ses barons, Nantes, 1860.

29 Dubuisson-Aubenay, Itinéraire de Bretagne en 1636, Société des bibliophiles bretons et de l'histoire de Bretagne, Nantes, 1898-1902.

30 J.-B. Ogée, Dictionnaire historique et géographique de la province de Bretagne, 2 vol., Rennes, 1843, (éd. revue et augmentée).

31 Chronique de Mire Jean Chapelain, ADIV, 1 F 831-838.

32 Gaston de Carné, Les chevaliers..., op. cit.

33 Ibid., et F. Saulnier, Le parlement.,.,op. cit.

34 Mu. Co., série L., t. XXXVII, fol. 146, 24 oct. 1597, lettre de Roch Lezot au duc de Montmorency.

35 Ibid., t. XXXIX, fol. 71, 23 janvier 1598, lettre du capitaine du Fresne de Saint-Gilles au duc.

36 Ibid.

37 Ibid., t. XLVI. fol. 208. Lettre du sieur du Goust de Montauban au duc, du 24 février 1599.

38 Ibid., t. XXXVII. fol. 146. Lettre de Roch Lezot au duc du 24 octobre 1597.

39 Ibid., t. XXI, fol. 328, Lettre de Jacques Barrin et de Charles Pierres au duc du 15 mars 1585.

40 Dom Morice, Mémoires pour servir de preuves à l'histoire ecclésiastique et civile de Bretagne, t. III, col. 1039, état de la maison du sire de Rohan-Guémené le 1er mars 1540. Sur la maison du comte de Laval : Arthur de La Borderie, La Tremoïlle et Laval-Vitré, s.l.n.d., 15 p.

41 Mu. Co., série L, t. XXIII, fol. 192, lettre d'Yvon Pierres, du sieur de Seiches et de Pierre Massin au duc de Montmorency, date inconnue (vers 1550).

42 ADIV, 1 F 684, et Bib. Nat. Paris, ms. fr. 20510, fol. 33.

43 Le grand seigneur en question tenait bien, en général, à exercer ce pouvoir d'intercession qu'on attendait de lui, par lequel il se constituait une clientèle d'obligés, par lequel donc il renforçait sa puissance, et assurait mieux la défense de ses intérêts. Le roi, lui aussi, se prêtait au jeu de ces relations de clientèle, en acceptant de distribuer ses faveurs par le canal des Grands. La chose lui sembla normale et souhaitable au moins jusqu'à Henri IV (inclus). Anne de Montmorency parlait ainsi en 1552 du « bien qu'il plaît au Roi de faire à mes serviteurs et amys de delà », Bib. Nat. Paris, ms. fr. 20510, fol. 33. Et Henri IV écrivait en 1599 au duc Henri Ier de Montmorency : « Je serai toujours aise de gratifier ceux qui me seront recommandés de votre part », Jules Berger de Xivrey, Recueil des lettres et missives du roi Henri IV, t. V, 15 mai 1599.

44 Faits cités par Alain Croix, L'âge d'or de la Bretagne. 1532-1675, Rennes, 1993, p. 224.

45 Mu. Co., série L, t. XXIII, fol. 44, date inconnue.

46 Ibid., t. XXXIX, fol. 71, 23 janvier 1598.

47 C. de La Lande de Calan, Documents inédits relatifs aux états de Bretagne de 1491 à 1589, Société des bibliophiles bretons et de l'histoire de Bretagne, 2 vol., Rennes, 1908 et 1909.

48 Mu. Co., série L, t. XCIII, fol. 9 (7 août 1608) ; fol. 53 (21 août 1608) ; t. XCIV, fol. 40 (6 octobre 1608).

49 James B. Collins, Classes..., op. cit., p. 184.

50 Ibid. L'auteur cite de nombreux gentilshommes présents aux états comme faisant partie de la clientèle de Richelieu : Bruc, Cahideuc, Retz, Kergrois, Vauduran, Goulaine, Bordage, Du Plessis-Josso, Cambout, Cosnelaye, Tréambert, La Hunaudaye...

51 Madeleine Foisil, « Parentèles et fidélités autour du duc de Longueville, gouverneur de Normandie pendant la Fronde », dans Hommage à Roland Mousnier : Clientèles et fidélités en Europe à l'époque moderne, Paris, 1981, p. 153-168 ; de même. Ariette Jouanna, « Protection des fidèles et fidélité au roi : L'exemple de Henri Ier de Montmorency-Damville », ibid.

52 ADIV, 1 F 684, et Bib. Nat. Paris, ms. fr. 20510, fol. 34. lettre du 20 octobre 1552.

53 Ibid, fol. 33.

54 Dom Morice, III, col, 1093,18 juin 1553.

55 James B. Collins, Classes..., op. cit.

56 Charles Rulon, « Étude généalogique d'une famille noble originaire de Bain de Bretagne : la famille de la Marzelière », BAAB, t. 68, 1959, p. 98-144.

57 Gaston de Carné, « Les chevaliers... », op. cit.

58 G. Vallée et P. Parfouru, Mémoires de Charles Gouyon, baron de la Moussaye (1553-1587), Paris, 1901.

59 Ibid.

60 Ibidem, p. 166.

61 Ibid.

62 Mu. Co., série L, t. XLVIII, fol. 43, lettre de François Harpin, sieur de la Chesnaye et de Marigny, président à mortier au parlement de Bretagne au duc de Montmorency, 8 mai 1599.

63 Ibid., série M, t. VII, fol. 38, lettre de Louis de Coëtlogon, vicomte de Méjussaume, conseiller au parlement, au prince de Condé, le 19 janvier 1636.

64 Toutes ces lettres, sans compter celles qui nous ont échappé, se trouvent au Mu. Co., série L, t. XXXVIII à LXVIII.

65 Ibid., série M, par exemple t. II, fol. 400, août 1630.

66 Mu. Co.. série L, t. LXXXIV, lettre de Lezot au duc de Montmorency du 28 février 1606.

67 Ibid., t. LXVI, fol. 68, 30 juillet 1602.

68 Ibid., t. XXXIX, fol. 71, Saint-Gilles au duc de Montmorency.

69 G. Vallée et P. Parfouru, Mémoires.,.,op. cit.

70 Mu. Co., série L, t. XXXIV, fol. 4, lettre de Lezot au duc de Montmorency du 1er juillet 1597.

71 ADIV, 1 F 935-937. M. du Plessis était prévôt de maréchaux en Bretagne. Il avait concouru au siège de Vitré, avec Mercœur, en 1589. Henri IV lui accorda une lettre de grâce le 17 décembre 1589.

72 Ch. de La Lande de Calan, Documents inédits..., op. cit.

73 ADIV, 1 F 1537 à 1547.

74 Mu. Co., série M, t. V, fol. 104, lettre du prince de Condé à son intendant M. de l'Hommeau, 25 août 1635.

75 Mu. Co., série L, t. XXXIX, fol. 187, lettre du 18 février 1598. Sans doute ne fut-ce pas par hasard que le comte des Chapelles, autre Rosmadec, servit de second à Montmorency-Boutteville dans le duel célèbre qu'il eut à Paris en 1627, et qui fit si violemment réagir Richelieu.

76 Double cousinage même : René Angier de Crapado, grand-père de Claude II ici concerné, avait épousé Louise de Scepeaux. Gui de Scepeaux, frère de cette Louise, avait épousé Mathurine Angier de Crapado, et en avait eu cet autre Gui de Scepeaux, l'époux de Marie de Rieux, P. Anselme, t. VII, p. 226-227.

77 G. Vallée et P. Parfouru, Mémoires..., op. cit.

78 Dom Morice, III.

79 Ibid., III, 1427, 31 juillet 1576.

80 ADLA, 9 j 6, Dial de Saffré.

81 Voit supra, note 48 Mu. Co., série L, t. XCIII et XIV.

82 Ibid., t. XCIII, fol. 9, 7 août 1608.

83 Alain Raison du Cleuziou, « Journal de François Grignart, sieur de Champsavay (1551-1607) », BSECN, t. XXXVII, 1899, p. 37-110.

84 Jean-Marie Constant, Les Guise, Paris, 1984, p. 217.

85 Ibid., La Ligue, Paris, 1996, p. 330.

86 G. Vallée et P. Parfouru, Mémoires..., op. cit.

87 Ibid.

88 Jules Berger De Xivrey, Recueil..., op. cit.

89 ADIV, 1 F 684 ; Bib. Nat. Paris, ms. fr. 20510, fol. 112, 16 juillet 1564.

90 Ibid., fol. 28

91 Dom Morice, III, 1151, 21 novembre 1555.

92 Ibid, III, 1266, 5 janvier 1561.

93 ADIV, 1 F 684 ; Bib. Nat. Paris, ms. fr. 20510, fol. 112.

94 Ibid.

95 Ch. de La Lande de Calan, Documents..., op. cit.

96 Dom Morice, III, 1093, 18 juin 1553.

97 Ibid., III, 1391, 17 décembre 1571.

98 Ibid., III, 1366, 2 août 1570.

99 Jean-Marie Constant, La Ligue, op. cit., p. 326-332. Toutefois, en dépouillant rapidement la liste des chevaliers de L'Ordre bretons dont l'engagement lors de la Ligue est indiqué (G. de Carné, Les chevaliers..., op. cit.), et qui n'appartenaient pas tous à la noblesse titrée, nous trouvons, pour notre part, deux royalistes pour un ligueur.

100 Son interrogatoire est raconté dans G. de Carné, Les Chevaliers..., op. cit. Ses difficultés financières étaient, dès avant 1589, visibles à ce qu'il avait dû vendre des terres et des fiefs, alors que généralement, en ce milieu des « barons et chevaliers de l'ordre », les ventes se multiplièrent seulement au xviie siècle. L'origine géographique des seigneurs qui suivirent Mercœur n'était certainement pas indifférente non plus ; le comté de Nantes en fournit beaucoup : les deux Goulaine (le sire de Goulaine et le baron du Faouët), les sires d'Orvault, de Crapado, de la Courpéan, François de Bruc, sieur de Guilliers, Jean Guéhenneuc, sieur de Juzet, Olivier Martel, sieur de la Haye et de Lavau...

101 Mu. Co., série L, t. XXX, fol. 202, lettre de la Courpéan au duc de Montmorency du 4 décembre 1596.

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